Jimmy Morales au Congrès, à Guatemala City, le 14 janvier. / ORLANDO ESTRADA / AFP

Le Guatemala est sur le point d’anéantir les efforts déployés pendant plus d’une décennie pour renforcer son système judiciaire et la lutte contre le crime organisé, en raison de mesures récemment adoptées par les plus hautes autorités du pays, dénonce l’organisation Amnesty International dans un rapport publié mardi 9 juillet.

Dans ce document, intitulé « Dernière chance pour la justice », l’organisation met en lumière de graves revers et des périls imminents pour les droits humains au Guatemala, liés aux mesures prises par le gouvernement de Jimmy Morales, le ministère public dirigé par Consuelo Porras, le pouvoir judiciaire et le Congrès.

Amnesty souligne principalement le danger que représente la fin du mandat de la Commission internationale de lutte contre l’impunité au Guatemala (Cicig), un organe créé en décembre 2006 en concertation avec les Nations unies et ratifiée début 2007 par le Congrès, pour aider le parquet à enquêter sur les structures criminelles infiltrées dans les institutions de l’Etat.

« Méthodologie novatrice »

Revenant sur les réussites de la Cicig depuis douze ans (démantèlement de 60 structures criminelles, condamnation de 310 personnes, baisse des homicide de l’ordre de 5 % par an), Amnesty souligne que la commission « a renforcé les capacités de certaines entités du ministère public, comme le Parquet contre la corruption (FECI) avec une méthodologie novatrice, travaillant directement avec lui dans des cas très complexes ». Mais force est de constater que, depuis 2018, « ce travail conjoint du FECI et de la Cicig a été systèmatiquement empêché par le gouvernement ».

En effet, le gouvernement du président Jimmy Morales, élu en 2015 sur la promesse d’en finir avec la corruption, n’a eu de cesse d’entraver le travail de la Cicig depuis que la commission s’est attaquée à son frère et à son fils, qu’elle a accusés de blanchiment d’argent. Et quand, en 2017, elle a demandé la levée de l’immunité du chef de l’Etat lui-même, soupçonné de financement illégal de sa campagne, M. Morales a déclaré le chef de la Cicig, Ivan Velasquez, persona non grata et a annoncé, en août 2018, que le mandat de la commission – qui prend fin le 3 septembre – ne serait pas renouvelé.

Pire encore, le 7 janvier, il y a mis fin prématurément. Même si la Cour constitutionnelle a invalidé toutes ces décisions, le travail de la Cicig a sérieusement été mis en difficulté et Ivan Velasquez n’a pas pu retourner au Guatemala depuis septembre 2018.

Le 3 septembre, le mandat de la Cicig ne sera donc pas renouvelé et ses 167 employés plieront bagage, mettant fin à une expérience unique au monde, la seule à avoir réussi à faire baisser le crime organisé dans une des régions les plus violentes du monde: selon le rapport 2019 sur les homicides de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le taux d’homicides en Amérique centrale (62,1 homicides pour 100 000 habitants, dix fois plus que la moyenne mondiale) est le plus élevé jamais enregistré, et le crime organisé a été responsable de 19 % de tous les homicides.

Face à cette situation, la procureure générale, Consuelo Porras, « ne semble pas avoir pris de mesures suffisamment claires ou opportunes pour garantir la continuité des travaux des parquets qui collaborent avec la Cicig, comme le Parquet spécial contre l’impunité, compromettant ainsi l’issue des enquêtes ouvertes dans plus de 70 affaires conjointes », dénonce Amnesty.

La loi de réconciliation menacée

Aucun espoir à attendre des deux candidats qui se présenteront, le 11 août, au second tour de l’élection présidentielle : ni Sandra Torres ni Alejandro Giammattei n’ont évoqué la possibilité de prolonger le mandat de la Cicig. La seule candidate à s’être engagée à défendre la commission, l’ancienne procureure générale Thelma Aldana, a été empêchée de se présenter au premier tour.

L’organisation internationale dénonce aussi les efforts du Congrès pour « affaiblir les réussites de la dernière décennie, à travers l’impulsion, depuis 2017, de propositions législatives qui promeuvent l’impunité ».

Amnesty cite notamment le projet 5377, qui réforme la loi de réconciliation nationale. Il permettrait d’amnistier les personnes accusées de crimes contre l’humanité tels que les assassinats, la torture ou les disparitions forcés commis pendant la guerre civile qui a ensanglanté le pays entre 1960 et 1996. Les enquêtes en cours seraient suspendues et les personnes déjà emprisonnées immédiatement relâchées.

Le 12 mars, la Cour interaméricaine des droits humains, dans une décision contraignante, a obligé l’Etat guatémaltèque à interrompre le traitement législatif du texte, une résolution qui n’a pas été suivie d’effet.

« Augmentation des assassinats »

Enfin, Amnesty s’inquiète de la détérioration de la situation des défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression dans le pays. « En plus des menaces et intimidations continues et des discours stigmatisants [de la part des autorités publiques] reproduits dans les médias et les réseaux sociaux qui prétendent rendre illégitime leur travail, note Amnesty, l’Unité de protection des défenseuses et défenseurs des droits humains a recensé une augmentation des assassinats en 2018, avec un chiffre record de 24 personnes défenseuses assassinées. »

« Le départ de la Cicig (...) permet aux structures criminelles de continuer à violer la loi en toute impunité », conclut Amnesty, qui publie une série de recommandation aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais demande également à la communauté internationale d’intervenir pour « promouvoir la défense des droits humains et la continuité de la lutte contre l’impunité au Guatemala à travers des déclarations publiques ou en assistant aux audiences judiciaires (...) en qualité d’observateurs ».