A l’issue de l’étape la plus tranquille de ce début de Tour de France, animée par trois échappées de l’impossible, Elia Viviani (Deceuninck-Quick Step), mis sur orbite par un relais puissant de Julian Alaphilippe, remporte la première victoire de sa carrière sur le Tour. Alaphilippe garde le maillot jaune.

Révérence. / Christophe Ena / AP

Les trains sont davantage à l’heure en France qu’en Italie. C’est la conclusion que tirera Elia Viviani de ce 9 juillet où le voilà, à Nancy, désormais vainqueur d’étape sur les trois grands tours.

En Italie, voilà deux mois, une razzia de Viviani était annoncée sur son tour national. Las : l’Italien est reparti fanny, privé même d’une victoire en Toscane par des commissaires zélés – et insensibles aux pressions qui n’ont pas manqué de surgir, le sprinteur portant à l’époque le maillot de champion d’Italie.

Sur ce Giro, Viviani n’était pas à 100 % de sa forme mais a aussi payé les erreurs de son « train », cette file de coureurs devant délivrer le sprinteur à 150 mètres de la ligne dans une position idéale, à haute vitesse.

Sur le Tour de France, Viviani a fait changer tous les wagons. « Ce sont deux groupes de travail différents, et ici je sais que toute l’équipe est là pour moi, hormis Julian Alaphilippe et Enric Mas », a-t-il commenté après cette première victoire.

Morkov, le cerveau de Viviani

Sur le Tour de France, il est accompagné des deux coureurs qu’il juge essentiels à sa réussite, le Danois Michael Morkov et l’Argentin Maximiliano Richeze. Les deux hommes qui le devançaient dans ces 500 derniers mètres qui font le tri entre les grands sprinteurs et les simples rapides.

« Tous les ordres viennent de Michael (Morkov), expliquait Viviani au départ du Tour de France. C’est lui qui décide quand est-ce qu’on passe devant : avant le virage ? Après ? Il a l’expérience et la puissance, la fraîcheur mentale pour prendre la bonne décision. Bien sûr, il me demande mon avis mais quand Yves Lampaert, qui précède Michael, se lance, il est trop tard pour changer. Quant à Max (Richeze), il doit penser comme un sprinteur, faire un sprint parfait comme si la ligne d’arrivée était le panneau des 200 mètres. »

Viviani est aussi imbattable au concours de grimaces. / JEFF PACHOUD / AFP

Sur la route de Nancy, la blessure de Kasper Asgreen, survenue la veille, a changé les plans du « Wolfpack », comme aime à se surnommer la Deceuninck-Quick Step dans une posture viriliste. Asgreen sur le flanc, Yves Lampaert a été chargé de rouler toute la journée derrière les échappés, et Julian Alaphilippe a pris sa place dans le train.

Raison pour laquelle on vit, sous la flamme rouge, le maillot jaune emmener le peloton dans un rôle rappelant celui qu’avait tenu jadis Bradley Wiggins, vainqueur du Tour, au service de Mark Cavendish sur les Champs-Elysées.

Tour De France 2012 Stage 21
Durée : 02:28

Organisation militaire

Davide Bramati, l’exubérant directeur sportif de la Deceuninck-Quick Step, raconte l’organisation militaire de ces derniers kilomètres, qui implique six des huit coureurs de l’équipe : « Devenyns a ramené à l’avant du peloton Morkov et Elia, qui étaient derrière. Puis Julian a fait un grand travail à maintenir une vitesse élevée, et Morkov et Richeze ont conclu le travail. Elia a fait un grand sprint. »

La clé, explique quant à lui Morkov, était d’aborder en tête le dernier virage : « J’ai dit à Julian de prendre la tête avant la flamme rouge, et il était si fort qu’il a pu étirer le peloton et m’amener jusqu’aux 600 mètres. De là, j’ai pu prendre le virage serré et amener Max jusqu’au panneau des 250 mètres. Quand je vois Julian faire ça, avec le maillot jaune, je suis très fort, c’est exceptionnel. »

A l’arrière du carrosse, Viviani dit avoir senti très vite, dès la flamme rouge, l’odeur du bouquet. « Quand Julian était devant, que j’ai vu la vitesse monter et le peloton en file derrière moi, je me doutais qu’ils avaient pris la bonne décision. »

Ce bel aréopage se désintégrera sans doute l’hiver venu. Elia Viviani aurait déjà, selon le quotidien L’Equipe, monnayé deux belles années auprès de l’équipe Cofidis, qui en ferait son leader à partir de l’an prochain. Richeze irait se mettre au service d’un sprinteur sud-américain, comme lui, en la personne de Fernando Gaviria dans l’équipe UAE.

Michael Morkov, clé de voûte du système, a lui prolongé dans l’équipe belge, où il devrait, toujours selon L’Equipe, se mettre au service du rapide Irlandais Sam Bennett. Des conséquences de l’ouverture du rail à la concurrence.

Le Tour du comptoir : Reims

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où l’on a cru à tort que le silence régnait.

C’est trop calme. Les rues désertes et la torpeur du matin rémois, à moins de deux heures du départ de la 4e étape, diffusent une sensation troublante et nous feraient presque regretter l’habituel délire des foules dans les villes-départ, qui ont l’avantage de contraindre à mettre son cerveau sur pause.

Direction le parvis de la cathédrale, où l’on trouve donc la cathédrale, mais aussi le Parvis, bar à champagne, évidemment, où Hélène et Brigitte, la soixantaine, préfèrent siroter un café et un jus de tomate, car « il est un peu tôt pour le champagne », et car « à Reims, du champagne, on en a tous au frigo », et car « ici, on est baptisé au champagne, alors… ».

Brigitte et Hélène, en bas à gauche.

Depuis leur coin de terrasse, les deux amies ont une double vue imprenable sur « la plus belle cathédrale de France » (étant entendu que celle de Strasbourg est hors concours) et sur la caravane du Tour qui défile devant un public clairsemé et curieusement atone. « Y a pas grand monde, c’est vrai que c’est calme. Peut-être que les gens ont eu leur dose hier », lors du passage du peloton par le même parvis en fin de 3e étape, suggère Brigitte.

Reims, ville silencieuse ? La foule massée pour acclamer les coureurs nous contredira deux heures plus tard, mais pour l’instant, ce sont Hélène et Brigitte qui s’en chargent : « Il y a eu six matchs de la Coupe du monde féminine ici, on a eu les supporters hollandais, ils nous ont mis une ambiance ! »

Et encore, dit Hélène, ça n’était rien à côté de la 9e édition de « Clin d’œil », le festival international des arts en langue des signes qui vient de s’achever : « C’est un festival de sourds et muets, y avait un monde ! C’est une atmosphère incroyable. Ils sont des milliers dans toute la ville, c’est un truc de ouf [expression désormais adoptée par les sexagénaires, donc]. Tous ces gens qui parlent avec les mains, toute cette jeunesse rayonnante et joyeuse… Ça a quelque chose d’étrange et de touchant. »

D’accord, mais on ne voit pas le rapport avec le bruit, tant on imagine mal une telle manifestation troubler la quiétude rémoise. On se goure : « Ce sont des jeunes, et quand ils ont bu, ils font du bruit, comme tous les jeunes, explique Hélène. Mais ça n’est pas le même bruit que tout le monde, ce sont des bruits un peu venus d’ailleurs, gutturaux. La première fois qu’on entend ça, on se demande ce qu’il se passe. Moi je m’étais dit “mais attends ils sont en train d’égorger quelqu’un ou quoi ?” La première année, j’étais tétanisée de trouille ! » Qu’est-ce que ce sera le jour où Reims accueillera la finale de la Coupe du monde des sourds et muets.

Suggestion pour un futur modèle de maillot distinctif.

PS : Au Parvis, la bouteille de champagne démarre à 23 €, et grimpe jusqu’à 1 690 (Clos du Mesnil blanc de chez Krug, à consommer avec modération, pour votre santé comme votre portefeuille). Si l’on n’a que 40 centimes, on peut s’offrir une carte postale des tramways de Reims.