Nyancho NwaNri / REUTERS

Lagos, la « ville des lacs » d’Afrique de l’Ouest, est sous la menace constante de l’érosion côtière, aggravée par le besoin de toujours plus d’espace pour loger ses quelque 20 millions d’habitants. De place et de sable pour construire ses centaines de milliers de bâtiments.

Conséquence du réchauffement climatique, les eaux continuent leur irrémédiable ascension. L’océan Atlantique avance sur les côtes de l’ouest du continent de 1 m à 4 m par an, selon un rapport de la Banque mondiale (BM) datant mars, détruisant tout sur son passage. Avec un coût considérable pour l’économie des pays concernés, souligne la BM. Rien que pour la Côte d’Ivoire – l’un des seuls pays objet d’une étude détaillée à ce sujet dans la région –, la dégradation du littoral a coûté « près de 2 milliards de dollars en 2017, soit l’équivalent de 4,9 % de son PIB ». A l’échelle du Nigeria, le géant économique de l’Afrique de l’Ouest, les pertes ne peuvent qu’être très supérieures.

Des investisseurs privés milliardaires dotés de forts soutiens politiques ont donc décidé, dès 2007, de construire la Grande Muraille de Lagos : une digue de 8,5 km, faite de quelque 100 000 blocs de béton et « construite pour durer mille ans », a été dressée pour protéger Victoria Island, le quartier huppé et cœur financier du pays.

Grande Muraille

« En 2005, la côte autour de Victoria Island était confrontée à un danger imminent », expliquent les développeurs du projet sur le site officiel. « La route côtière avait disparu sous la pression de l’eau (…), multipliant les inondations. De nombreux immeubles avaient été abandonnés », peut-on lire sur ce site. « Aujourd’hui, Lagos voit déjà les bénéfices de la Grande Muraille. Les routes autrefois inondées sont désormais praticables et les propriétés abandonnées ont été réinvesties », se réjouissent les développeurs, qui voient « dans ce mur déflecteur », « une grande fierté pour le Nigeria ».

Mais ils ne se sont pas arrêtés là. Entre le mur et la côte, sur plus de 6,5 kilomètres carrés, les développeurs ont réensablé l’océan avec plus de 100 millions de tonnes de sable draguées des fonds de la mer pour construire Eko Atlantic, quartier « afrofuturiste » d’où s’élèveront, promettent-ils, les plus hauts gratte-ciel du continent.

Lorsque le baril dépassait encore les 100 dollars et que la corruption et le blanchiment d’argent dictaient encore l’économie du Nigeria, il était facile de se prendre à rêver du « Dubaï de l’Afrique ». Mais aujourd’hui, la première économie du continent se remet doucement de la terrible récession de 2016-2017 et Eko Atlantic tourne au ralenti.

Le projet Eko Atlantic à Lagos, capitale économqiue du Nigeria. / MOISE GOMIS / AFP

Pis, les Lagossiens commencent à ressentir les effets dévastateurs du projet sur le littoral des communautés environnantes. Chercheurs et habitants des quartiers en aval d’Eko Atlantic affirment que la digue n’a fait que repousser la colère de l’océan ailleurs, qui se déchaîne sur d’autres quartiers. « Avant Eko, nous avions de la nature, des palmiers et des cocotiers », raconte à l’AFP Wasiu Elegushi, propriétaire historique des terres d’Alpha Beach, un quartier de la petite classe moyenne, à environ 12 km à l’est du projet de construction.

La route d’Alpha Beach qui longeait la côte a disparu sous les vagues. « Les propriétaires des terrains ont peur de construire quoi que ce soit ici », confie Bobby Isowshe, un vendeur de boissons sur la plage. « Ils ont peur de l’eau. »

Autrefois lieux de villégiature pour la classe moyenne de Lagos, les beaux appartements avec vue sur mer construits à Alpha Beach il y a un peu plus de dix ans ont été repris par les squatters. Une grande maison abandonnée est maintenant presque avalée par les dunes de sables. « L’eau a commencé à monter, monter (…). Tout a été emporté », se désole M. Elegushi, qui affirme que « tout a commencé quand ils ont lancé Eko Atlantic ».

« Les conséquences du mur sur les marées étaient évidentes pour n’importe qui s’intéresse un tant soit peu à ce phénomène », estime Tunji Adejumo, professeur en architecture urbaine et de l’environnement à l’Université de Lagos. « Cela démontre que les promoteurs n’avaient aucune considération » pour le reste de la côte, dénonce ce spécialiste. Eko Atlantic n’a pas donné suite aux questions de l’AFP.

Lagos vacille

Mais les problèmes soulevés par la construction de la Grande Muraille et par le projet de quartier « afrofuturiste » sont emblématiques d’un phénomène bien plus vaste : l’ensemble de Lagos, mégalopole construite aux abords d’une lagune, s’enfonce dans les eaux.

Les richissimes développeurs d’Eko Atlantic n’ont fait que copier les techniques utilisées depuis des décennies pour grignoter de l’espace sur les eaux, afin de loger plus de 20 millions d’habitants de la mégalopole si tentaculaire que personne ne connaît la taille exacte.

Cœur économique du Nigeria, Lagos est l’une des villes les plus dynamiques et les plus peuplées au monde. Mais les logements et les terrains constructibles manquent pour héberger les centaines de milliers de nouveaux arrivants dans la « capitale de la débrouille ». Pelletée par pelletée, des millions de tonnes de sable ont été prélevés pour faire du béton et étendre, mètre après mètre, la superficie de la mégalopole.

Ces travaux incessants ont fragilisé la lagune grévée par autant de cratères qu’en compte la Lune. Une étude confidentielle réalisée par le gouvernement local et que l’AFP a pu consulter révèle que les fonds marins sont percés de trous atteignant 7 à 8 m de profondeur, à seulement 25 m de la côte. Les courants s’y engouffrent, gagnent en puissance et attaquent le littoral derechef. Lagos, construite au niveau de la mer, vascille.

A chaque saison des pluies, les inondations envahissent Lekki, un quartier tendance construit sur des marécages réensablés dans les années 1990. D’année en année, il s’enfonce un peu plus dans les eaux.

Chef Ede Dafinone, président de la Nigerian Conservation Foundation (NCF) a appelé les autorités à réagir début juillet. « Plusieurs communautés ont déjà été emportées par les eaux, s’est alarmé l’environnementaliste. Si rien n’est fait, Lagos sera submergée d’ici à 2050. »