Toute la journée de mardi 9 juillet, le Super U de L’Arbresle, une commune proche de Lyon, a été au centre d’une polémique. Fortement critiqués par plusieurs personnalités et défenseurs des animaux pour un safari de chasse réalisé quelques années auparavant, les gérants du supermarché – qui fait partie du système de coopérative U Les Commerçants – ont fini par donner leur démission. Sur les nombreux clichés qui ont circulé en ligne, le couple pose, tout sourire, près des dépouilles d’un léopard, d’un zébu, d’un lion ou encore d’une antilope qu’ils viennent d’abattre.

Face à la propagation très rapide de messages critiques sur Facebook et Twitter, sur un ton parfois très virulent, la coopérative a rapidement pris ses distances avec le couple. « Si ces images relèvent d’activités personnelles en dehors de la sphère professionnelle, la coopérative tient néanmoins à se désolidariser fermement de ces pratiques qui vont à l’encontre des valeurs que nous défendons et de nos engagements », a écrit l’enseigne dans un tweet. En fin de journée du 9 juillet, c’est par le même canal que l’on apprenait que les gérants avaient donné leur démission.

D’où viennent les photos et qui les a diffusées ?

Plusieurs des photos du couple mis en cause étaient – et sont encore – disponibles sur Internet. Passionnés de chasse, les gérants de ce commerce se retrouvent sur ces photographies prises lors de safaris effectués en Tanzanie et en Afrique du Sud en 2014 et 2015.

Ces photos ont été reprises et diffusées ces derniers jours dans des posts Facebook de militants de la défense des animaux, sans que l’on sache précisément pourquoi ils les ont identifiées des années après leur publication. On en retrouve la trace sur Facebook par exemple le 4 juillet dernier.

Un autre profil Facebook qui se présente avec un logo du Parti animaliste a posté ces photos le 6 juillet, appelant au boycott de Super U et dénonçant : « Quand tu es propriétaire du Super U de L’Arbresle (69) et qu’avec le pognon de tes clients tu participes activement à la sixième extinction de masse. » Ces photos et ces mises en cause ont été ensuite reprises dans la presse locale, notamment Le Progrès.

Que répondent les mis en cause ?

Contacté par Le Monde mercredi 10 juillet, le couple mis en cause a simplement transmis les coordonnées de leur avocat, maître Alain Jakubowicz – connu, entre autres, pour avoir défendu Nordahl Lelandais et présidé la Licra entre 2010 et 2017.

Ce dernier explique au Monde vouloir « siffler la fin de la récréation » dans cette affaire. « Ces gens n’ont rien fait, à part s’adonner à une passion. Ce sont des honnêtes gens qui n’ont commis aucun crime aucun délit », déclare-t-il, avant d’ajouter : « Il y a des appels au boycott, leur famille est menacée. Faut voir ce qu’ils vivent. C’est du délire. C’est très symptomatique de l’air du temps. »

Concernant d’éventuelles procédures judiciaires en cours, Alain Jakubowicz met en garde :

« Je vais déposer plainte contre les messages les plus violents. (…) Quiconque qui désormais publiera la moindre ligne de menaces fera l’objet de poursuites immédiates. »

L’avocat précise enfin : « Ces photos ne sont pas belles, je le reconnais, et elles peuvent poser un vrai problème. On a le droit de ne pas les aimer, on a le droit de ne pas aimer la chasse. Mais je ne vois pas en quoi ça donne droit à ce qu’il se passe en ce moment. Cette pratique est parfaitement réglementée », assure-t-il.

Avaient-ils le droit de tuer ces animaux ?

Certains animaux exhibés sur les photos du couple diffusées sur Internet (en particulier le lion) sont bien considérés comme des espèces menacées en Afrique, selon le Fonds international de la protection des animaux.

Mais si la pratique de « chasse aux trophées » de ces grands animaux d’Afrique choque, elle reste aujourd’hui légale et encadrée dans une vingtaine de pays africains – dont la Tanzanie et l’Afrique du Sud, comme l’expliquait encore le magazine Géo en janvier 2019.

En juillet 2015, la mort du lion Cecil, abattu au Zimbabwe, avait mis la lumière sur le phénomène et provoqué un intense débat international sur la pratique. Les faits avaient conduit au harcèlement en ligne du tueur du lion, un dentiste américain. Celui-ci n’avait cependant pas été poursuivi dans le pays, car il avait chassé avec un permis en règle.

Selon ses défenseurs, ce tourisme lié à la chasse aux animaux sauvages a également un impact économique positif non négligeable pour les pays concernés et les organisations qui gèrent les animaux sauvages dans ces régions. Les chasseurs doivent ainsi s’acquitter d’une taxe « antibraconnage », en fonction des animaux qu’ils tuent lors de leur safari. Sur le site de Pierré Van Tonder, l’organisateur d’un safari de chasse auquel le couple a participé, selon nos recherches, il est écrit que cette taxe est de 7 150 dollars, soit près de 6 400 euros, pour un léopard.

Quelles ont été les réactions ?

Cette médiatisation a conduit des célébrités et des associations défendant les animaux à prendre le relais de ces messages. « Bravo la famille (…) du Super U de L’Arbresle, ça valait le coup de le tuer pour cette photo. Je conseille à tout le monde de [partager sur Twitter] cette photo puisqu’ils veulent être célèbres et passez au magasin les prendre en photo #SuperU », a par exemple écrit sur Twitter l’animateur Julien Courbet, le 9 juillet. Son message est aujourd’hui supprimé, mais il avait été partagé plus de 17 000 fois en fin de journée mardi.

« La chasse aux trophées est un fléau et concerne aussi la France », a écrit également le journaliste Hugo Clément sur son profil Facebook, diffusant les photos du couple dans un message également publié mardi et ayant généré plus de 50 000 réactions. De même, des associations ont dénoncé les agissements du couple dans des messages partagés des dizaines de milliers de fois. 30 Millions d’amis a critiqué les « horreurs de la chasse aux trophées » et Anymal a déploré des dirigeants « 100 % pourris ».

Sur les réseaux sociaux, en réaction à ces messages, beaucoup d’internautes ont exprimé leur colère face à cette tuerie d’animaux sauvages et certains messages se sont faits plus menaçants avec des insultes et des appels à la violence contre le couple. A l’inverse, des internautes ont tenté de défendre les gérants en dénonçant un « procès public » à partir d’actes réalisés « dans la vie privée » et en demandant aux internautes d’être « cléments » ou encore de ne pas boycotter Super U en raison des autres employés travaillant pour l’enseigne.

Comment ont réagi les enseignes U ?

La coopérative Système U s’est vite désolidarisée des actions des gérants de son magasin à L’Arbresle. Mais le groupe Système U n’étant pas organisé selon un système pyramidal, les gérants d’hypermarché ou de supermarché sont indépendants et propriétaires de leur magasin. « C’est plus compliqué pour un groupe comme le nôtre, car le gérant ne peut pas être licencié, même s’il nuit à l’image de la coopérative », explique au Monde un porte-parole de Système U.

Mais les propriétaires, sous pression, ont fini par démissionner. « Ils revendent le magasin. Il faut trouver quelqu’un, mais Monsieur (…) nous a confirmé qu’il démissionnait de la coopérative. On va prendre un directeur pour assurer la transition », a poursuivi ce porte-parole de l’enseigne, alors que le magasin concerné a fermé temporairement ses portes le 10 juillet. Dans les locaux, le personnel est ébranlé, assure enfin ce porte-parole des magasins U au Monde. « Ça nous a un peu explosé au visage. Du point de vue du droit, ce n’est pas illégal, il n’y a pas braconnage. Mais il y a le droit et la morale », selon lui.