Au programme cette semaine, le choix des plumes du « Monde des livres ». De Michel Houellebecq à Sarah Chiche, une sélection de romans et d’essais à lire cet été.

Littérature

  • « Slade House », de David Mitchell

La porte de l’enfer peut n’être qu’une poterne de rien. En témoigne celle, ­petite et noire, qui ouvre sur Slade House, son jardin aux arômes capiteux, ses hôtes délicieux et empressés. A ceux qui la franchissent, l’effroyable expérience d’être vidé de son âme est réservée. Grand ingénieur du cau­chemar dans la lignée de Shirley Jackson ou de Stephen King, David Mitchell vous réserve, avec ce roman, la plus glaçante de toutes les terreurs. François Angelier

« Slade House », de David Mitchell, traduit de l’anglais par Manuel Berri, L’Olivier, 272 p., 22 €.

LE MONDE

  • « Fair-play », de Tove Jansson

Ce livre est un hymne à la vieillesse, pleinement assumée et heureuse. Deux amies, qu’on suit en ville, à la campagne ou en voyage, partagent le quotidien en vaquant chacune à son travail artistique. Les jours s’égrènent, au rythme de conversations, de rencontres, nourries par une insatiable ­curiosité intellectuelle. Une belle leçon d’art de vivre et une méditation à la fois intime et universelle. Elena Balzamo

« Fair-play », de Tove Jansson, traduit du suédois (Finlande) par Agneta Segol, La Peuplade, 160 p., 18 €.

LE MONDE

  • « Sérotonine », de Michel Houellebecq

Houellebecq raconte le chemi­nement d’un homme, ingénieur agronome, vers la déchéance. Donnant congé à l’idéologie, ce ­roman manifeste son plein retour à une littérature dont il célèbre les ­pouvoirs d’émancipation. Au milieu de l’universel avilissement, Sérotonine laisse ouverte la possibilité d’un amour authentique, élan auquel Houellebecq rend justice en des scènes d’une poignante simplicité. D’une page à l’autre, on passe du rire aux larmes, ému par l’ardente ­générosité d’un auteur qui comprend et aime ses lecteurs. Jean Birnbaum

« Sérotonine », de Michel Houellebecq, Flammarion, 352 p., 22 €.

  • « Doggerland », d’Elisabeth Filhol

Scientifique de formation, Elisabeth Filhol explore dans chacun de ses livres les risques liés aux avancées technologiques. Mais dans Doggerland, la tonalité est moins discursive que poétique, tant la métaphore géologique qu’elle réactive s’avère riche de significations. Quelle part les activités humaines de forage jouent-elles dans l’augmentation des risques sismiques ? Quel rôle l’homme joue-t-il dans la construction de son propre malheur ? Florence Bouchy

« Doggerland », d’Elisabeth Filhol, P.O.L, 352 p., 19,50 €.

  • « Ulla ou l’effacement », d’Andréas Becker

Cet été, je vous conseille de vous « abîmer » – quel que soit le sens que vous serez prêt à donner à ce verbe – dans Ulla ou l’effacement, d’Andréas Becker. Rares sont les écrivains qui savent écrire juste sous la peau, là où tout se joue, à racler ce qu’il faut de syntaxe pour que l’émotion soit nouvelle, et non prémâchée. Une mère meurt à petit feu sur un canapé – mais la page, elle, vibre comme une vitre quand le tonnerre gronde au loin. Claro

« Ulla ou l’effacement », d’Andréas Becker, En bas, 64 p., 8 €.

  • « Itinéraire d’un singe amoureux », d’Amitava Kumar

Kailash, tout juste arrivé d’Inde, ­raconte ses années d’université aux Etats-Unis. L’allure erratique de ce roman passionnant, où l’esprit s’égare plaisamment dans un bric-à-brac d’historiettes, de coupures de presse et de photographies, dit avec la plus grande intelligence l’éclatement du sujet immigré et la fabrique de la littérature. Un grand roman des postcolonial studies. Zoé Courtois

« Itinéraire d’un singe amoureux » (Immigrant, Montana), d’Amitava Kumar, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Maxime Shelledy, Gallimard, « Du monde entier », 352 p., 22 €.

LE MONDE

  • « Le Cherokee », de Richard Morgiève

Amérique profonde des années 1950. Nick Corey, le shérif de Panguitch, petite ville de l’Utah, est tout rongé d’enfance et de réminiscences. Partout il y a des monstres. Des fantômes arrachés aux cauchemars du passé. D’inquiétantes créatures venues d’un autre monde. D’imprévisibles assassins cachés dans la peau d’authentiques braves gens. Avec Morgiève, le pire est toujours à venir. C’est caverneux, grisant d’émotions noires. Magnifique. Xavier Houssin

« Le Cherokee », de Richard Morgiève, Joëlle Losfeld, 480 p., 24 €.

LE MONDE

  • « Marcher jusqu’au soir », de Lydie Salvayre

Au prétexte de raconter la nuit qu’elle a été invitée à passer au pied de L’homme qui marche, de Giacometti, au Musée Picasso, Lydie Salvayre libère dans un récit magnifique une colère salutaire contre le mépris de l’art et sa dimension sociale. Jouant comiquement de ses emportements aux lisières de la mauvaise foi pour dénoncer la marchandisation de l’art et sa réduction au statut de divertissement, elle emporte son lecteur en jubilation. Bertrand Leclair

« Marcher jusqu’au soir », de Lydie Salvayre, Stock, « Ma nuit au musée », 224 p., 18 €.

LE MONDE

  • « Les Enténébrés », de Sarah Chiche

Au départ, il y a une histoire d’amour adultère. A partir de là, Sarah Chiche tisse un très impressionnant roman hanté par la certitude de la dévastation à venir du monde, et qui nous parle de vies dévastées – par l’histoire, par la répétition de souffrances, par la difficulté de mettre au jour ces mécanismes de transmission toxique pour les anéantir. Sombre et superbe, Les Enténébrés réussit même à ­ménager une place à la lumière. Raphaëlle Leyris

« Les Enténébrés », de Sarah Chiche, Seuil, 368 p., 21 €.

LE MONDE

  • « Le Plongeur », de Stéphane Larue

Hommage à Dans la dèche à Paris et à Londres, de George Orwell (Gallimard, 1935), le premier roman du Québécois Stéphane Larue suit un étudiant que l’addiction au jeu mène au mensonge, à la ruine et à la pègre. Devenu plongeur dans un restaurant, il découvre la solidarité dans les « bas quartiers », le mépris des nantis, puis Montréal la nuit. L’ivresse pour noyer la fatigue, les fêtards en quête de drogue. Son chemin est une rédemption par excès de tout, portée par une écriture frénétique. Gladys Marivat

« Le Plongeur », de Stéphane Larue, Le Quartanier, 576 p., 22 €.

  • « Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau », d’Antonio Lobo Antunes

Un jeune sous-lieutenant portugais ramène de la guerre d’indépendance, en Angola (1961-1975), un petit orphelin qu’il élève comme son fils. Mais un jour tout dérape. Une fois de plus, c’est moins l’intrigue que la facture qui émerveille chez le grand écrivain portugais. Cette écriture unique parvient à saisir le monde tel qu’il nous arrive : avant d’avoir été passé à la moulinette de l’intellect et du langage. On reste coi. Florence Noiville

« Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau » (« Ate que as pedras se tornem mais leves que a agua »), d’Antonio Lobo Antunes, traduit du portugais par Dominique Nédellec, Christian Bourgois, 576 p., 23 €.

LE MONDE

  • « Le Dernier Fleuve », d’Hélène Frappat

Rendus à la vie sauvage, deux enfants découvrent un territoire inconnu, auprès d’un vaste fleuve qui les ­accueille mais les met en danger. C’est un palpitant ­roman initiatique, plein de réminiscences littéraires et cinématographiques. Une somptueuse fable pour notre temps. Entre émerveillement et effroi, on savoure la puissance sensorielle d’une nature enchantée et menacée, on se laisse porter par le fleuve mythique et ses ­métamorphoses. Monique Petillon

« Le Dernier Fleuve », d’Hélène Frappat, Actes Sud, 240 p., 20 €.

LE MONDE

Lire la rencontre et la critique : Hélène Frappat : sous la fiction, l’intime
  • « Underworld. Romans noirs », de William R. Burnett

Des parrains déchus, des cyniques rattrapés par leur humanité, des truands incapables de fuir et, pour solde de tout compte, un sentiment de gâchis… Dans cette anthologie de cinq romans noirs parus entre 1949 et 1968, l’Américain William R. Burnett (1899-1982) témoigne sans manichéisme du monde protéiforme de la criminalité. Le romancier parvient à marier réalisme et poésie en prose avec le plus grand naturel. Macha Séry

« Underworld. Romans noirs », de William R. Burnett, multiples traducteurs de l’anglais (Etats-Unis), Gallimard, « Quarto », 1 120 p., 28 €.

LE MONDE

  • « La Saison des ouragans », de Fernanda Melchor

Qui en voulait à la Sorcière, cette ­guérisseuse fantasque retrouvée assassinée ? A coups de longs monologues intérieurs, Fernanda Melchor sonde les âmes et les vies d’une poignée d’habitants de La Matosa, un bourg imaginaire et oublié de l’Etat de ­Veracruz, au Mexique. Ce roman envoûtant, à ­l’écriture fiévreuse, ausculte les liens entre ­violence, désir et amour ­réprouvées, dans un monde machiste rongé par la précarité. Ariane Singer

« La Saison des ouragans », de Fernanda Melchor, traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba, Grasset, 288 p., 20 €.

LE MONDE

  • « La Capitale », de Robert Menasse

Avec un sens de l’humour affirmé et une maîtrise des genres satirique et grotesque, l’écrivain autrichien et intellectuel europhile Robert Menasse déroule, inquiet mais pas désabusé, une intrigue policière dans le décor des institutions européennes, à Bruxelles. Ce roman didactique, au propos militant sans être pesant, ­redécouvre, au hasard de l’enquête, la véritable source de l’union du Vieux Continent : la mémoire plutôt que le charbon et l’acier. Nicolas Weill

« La Capitale », de Robert Menasse, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Mannoni, Verdier, 448 p., 24 €.

Essais

  • « La Haine des clercs. L’anti-intellectualisme en France », de Sarah Al-Matary

Cette enquête historique sur la dénonciation des intellectuels traite aussi des crises de la démocratie libérale. Aux lettrés, universi­taires et orateurs professionnels, certains ­anti-intellectuels ont reproché d’exclure de la ­citoyenneté les « manuels ». Mais la haine des intellectuels, du côté de la droite radicale, a également été l’autre nom d’une idéologie raciste, nationaliste et antiégalitaire. Serge Audier

« La Haine des clercs. L’anti-intellectualisme en France », de Sarah Al-Matary, Seuil, 394 p., 24 €.

LE MONDE

  • « Au service de l’honneur. Les appariteurs de magistrats romains », de Jean-Michel David

A Rome, un magistrat n’agissait jamais en personne, mais à travers ses nombreux assistants – licteurs, messagers, ­hérauts ou scribes. Jean-Michel David jette une ­lumière vive sur ces rouages essentiels à la bonne gestion de la cité qui participèrent activement à la naissance de l’administration impériale – en somme, à la ­matrice de la bureau­cratie occidentale. Vincent Azoulay

« Au service de l’honneur. Les appariteurs de magistrats romains », de Jean-Michel David, Les Belles Lettres, « Mondes anciens », 336 p., 33 €.

  • « Les Nouvelles Lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique », de Marie Bergström

Marie Bergström analyse les effets des sites de rencontre sur le « script romantique » qui commandait la relation amoureuse au XXe siècle. Son enquête révèle les règles de ce jeu amoureux par écran interposé. Les stéréotypes de genre et les inégalités n’en sont pas absents, preuve que la société n’a pas entièrement relâché son emprise sur la question sexuelle. Gilles Bastin

« Les Nouvelles Lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique », de Marie Bergström, La Découverte, 222 p., 20 €.

LE MONDE

  • « Contre temps et marées. Pêcheurs hauturiers de Lorient en mer d’Ecosse », de Boris Charcossey

Dans son carnet de bord, l’ethno­logue Boris Charcossey nous ­embarque sur un chalutier de pêche industrielle en compagnie d’hommes qui, avant d’être des marins, sont des ouvriers de la mer. Une plongée dans un univers isolé, sans limites, où la fatigue des matelots est tout entière subordonnée à la productivité. Anne Both

« Contre temps et marées. Pêcheurs hauturiers de Lorient en mer d’Ecosse », de Boris Charcossey, Société d’ethnologie, « Anthropologie de la nuit », 208 p., 12 €.

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  • « Les Fils de Canaan. L’esclavage au Moyen Age », de Sandrine Victor

Sandrine Victor ressuscite une figure oubliée : l’esclave médiéval. Symbole de réussite sociale et objet d’un commerce intense, l’esclave est partout au Moyen Age : en ville, à la campagne, dans le nord et le sud de l’Europe, sur les terres d’islam… Un chaînon manquant indispensable pour expliquer le succès de la traite à l’époque moderne, mais aussi la persistance actuelle de l’esclavage. Marie Dejoux

« Les Fils de Canaan. L’esclavage au Moyen Age », de Sandrine Victor, Vendémiaire, « Retour au Moyen Age », 216 p., 22 €.

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  • « “Il faut s’adapter”. Sur un nouvel impératif politique », de Barbara Stiegler

S’adapter ou disparaître, rattraper notre retard. Dans tous les registres, le refrain s’impose. La philosophe Barbara Stiegler montre que cet impératif provient de la théorie darwinienne de l’évolution, traduite aux Etats-Unis en termes politiques et sociaux. Qui est en retard, et qui en avance ? Ceux qui le savent sont-ils « en haut », ou « en bas » ? Savant et passionnant. Roger-Pol Droit

« “Il faut s’adapter”. Sur un nouvel impératif politique », de Barbara Stiegler, Gallimard, « NRF Essais », 334 p., 22 €.

  • « Postvérité et autres énigmes », de Maurizio Ferraris

Nous vivons désormais dans des sociétés d’individus pour lesquels « énoncer une vérité » vaut affirmation de soi, et c’est ainsi que règne la postvérité. Mais au nom de quelle morale faudrait-il renoncer à la singularité ? Il s’agit plutôt de dénouer individualisation et postvérité, de retrouver le chemin conceptuel du réel, tout en affirmant notre existence avec force, là où elle se tient – en ce monde. Florent Georgesco

« Postvérité et autres énigmes », de Maurizio Ferraris, traduit de l’italien par Michel Orcel, PUF, 192 p., 15 €.

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  • « Chroniques d’“Arts-Spectacles” (1954-1958) », de François Truffaut

Si le nom de François ­Truffaut (1932-1984) est ­attaché aux Cahiers du ­cinéma, c’est dans Arts- Spectacles que le jeune homme a livré quelques-uns de ses meilleurs articles. La critique est chez lui l’affirmation d’un goût, la défense acharnée d’un panthéon personnel, où trônent Max Ophuls, Fritz Lang ou Nicholas Ray. Parfois arbitraire dans ses préférences, Truffaut se montre éblouissant dans la polémique. Jean-Louis Jeannelle

« Chroniques d’“Arts-Spectacles” (1954-1958) », de François Truffaut, édité par Bernard Bastide, Gallimard, 524 p., 24 €.

  • « Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIe siècle) », de Guillaume Calafat

Guillaume Calafat explore un débat devenu crucial au XVIIe siècle : celui de la liberté des mers et du droit de circuler. Il montre sur quelles constructions complexes reposent les principes de propriété. Au moment où la Méditer­ranée est devenue si meurtrière, cela nous ­contraint à mesurer la fragilité de nos propres catégories juridiques. Claire Judde de Larivière

« Une mer jalousée. Contribution à l’histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIsiècle) », de Guillaume Calafat, Seuil, « L’univers historique », 456 p., 25 €.

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  • « La Révolution en contant. Histoires, contes et légendes de Louise Michel »

Dans les récits courts de Louise ­Michel, la « Vierge rouge » (1830-1905), il y a des ogres de légende, des enfants abusés, des criminels par accident, des guerriers kanak et des Bretons qui épousent la cause révolutionnaire. Il y a surtout un véritable art d’écrivaine à la palette variée que l’on découvre grâce à Claude Rétat, qui édite avec grand soin ces beaux textes. Pierre Karila-Cohen

« La Révolution en contant. Histoires, contes et légendes de Louise Michel », textes réunis et présentés par Claude Rétat, Bleu autour, 560 p., 32 €.

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  • « Au plus près des âmes et des corps. Une histoire intime des catholiques au XIXe siècle », de Caroline Muller

De lettres échangées entre des femmes de la bonne société et leurs directeurs de conscience au XIXe siècle, l’historienne Caroline Muller a su faire un matériau ­historique original : dans ces correspondances intimes se dévoilent en même temps l’ordre conjugal et le désordre émotionnel, ainsi que l’espace de liberté quelquefois ouvert par ces courriers dans des vies si normées. André Loez

« Au plus près des âmes et des corps. Une histoire intime des catholiques au XIXsiècle », de Caroline Muller, PUF, 366 p., 23 €.

  • « Les Enfants d’Asperger. Le dossier noir des origines de l’autisme », d’Edith Sheffer

Edith Scheffer montre que Hans Asperger (1906-1980), qui a donné son nom à un prétendu « autisme de haut niveau », était un criminel nazi. Il différenciait « bons » et « mauvais » autistes afin d’exterminer les seconds. A ce jour, le syndrome de 30 millions d’autistes est désigné par ce nom dont Scheffer ­réclame l’abandon. Un grand livre. Elisabeth Roudinesco

« Les Enfants d’Asperger. Le dossier noir des origines de l’autisme », d’Edith Sheffer, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Tilman Chazal, Flammarion, « Au fil de l’histoire », 398 p., 23,90 €.

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