Tribunal de Salé, au Maroc. / AFP

Ce sont les mots lourds d’une mère, celle de Louisa Vesterager Jespersen, cette jeune touriste danoise décapitée dans le Haut-Atlas marocain le 17 décembre 2018, au nom du groupe Etat islamique (EI) : « Pensez, si quelqu’un avait fait ça à votre enfant. Ne serait-ce pas juste de donner à ces bêtes la peine de mort ? » Lue par l’avocat de la famille, Me Khalid Al-Fataoui, la lettre s’adresse aux juges du tribunal antiterroriste de Salé, près de la capitale Rabat, à l’ouverture d’une nouvelle audience du procès, jeudi 11 juillet.

La victime danoise, âgée de 24 ans, a été assassinée avec son amie norvégienne, Maren Ueland, 28 ans, alors qu’elles campaient au pied du mont Toubkal, dans la région touristique du Haut-Atlas. Au total, 24 hommes ont été arrêtés, notamment pour « apologie du terrorisme », « atteinte à la vie de personnes avec préméditation » ou « constitution de bande terroriste ». Pour les trois principaux suspects qui ont avoué avoir décapité les deux jeunes femmes, filmé leurs actes puis diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux, le parquet a requis la peine de mort. Une peine capitale qui n’a pas été exécutée depuis 1993 au Maroc. En plus de la perpétuité demandée pour un prévenu, les autres peines requises vont de dix à trente ans de réclusion criminelle.

« Victimes de leur ignorance »

Pour leurs plaidoiries, face au juge Abdellatif Amrani, les avocats de la défense – la plupart commis d’office – ont joué sur la corde sociale. « Ces personnes vivent dans la pauvreté et n’ont aucune formation. Sans maîtrise des préceptes de l’islam, ils sont victimes de leur ignorance et des médias », commence Me Hafida Meksaoui, avocate des trois principaux suspects, dont Abdessamad Al-Joud, présenté comme le cerveau de la cellule terroriste. « La nature du crime ne peut être le fait de personnes saines d’esprit », argumente encore l’avocate marocaine, qui demande une expertise psychiatrique pour vérifier leur responsabilité pénale.

La situation précaire des accusés est mise en avant pour plaider l’innocence ou réclamer des réductions de peine. Chacun rappelle les déclarations des prévenus niant toute relation avec les principaux accusés ou une organisation terroriste. « Le seul crime de mon client est d’habiter dans le même village que M. Al-Joud », s’indigne l’un des avocats. « Regarder des vidéos de Daech [acronyme arabe pour Etat islamIque] n’est pas une accusation suffisante », ajoute Me Meksaoui.

L’audience s’attarde aussi sur le sort du ressortissant hispano-suisse, Kevin Zoller Guervos, accusé d’avoir participé à la radicalisation des principaux suspects. Seul étranger parmi les prévenus, il clame son innocence, mais risque vingt ans de prison. Installé au premier rang dans la salle d’audience, le jeune homme suit avec attention la longue plaidoirie de son avocat, Me Saad Sahli, accompagné d’un traducteur. Assise plus loin, sa femme Fatima prend des notes. « Kevin a eu la malchance de tomber au Maroc sur de mauvaises personnes qui lui ont mal expliqué l’islam. Quand il m’a connue, moi et ma famille, il a changé ses idées », assure la jeune Marocaine, un voile noir sur les cheveux.

« Déclarations en arabe »

C’est l’un des arguments défendus par Me Sahli. A plusieurs reprises, il rappelle que Kevin, qui ne parle pas arabe, a coupé les ponts avec les principaux suspects un an et demi avant l’acte terroriste. « Monsieur le Président, il nous faut des preuves matérielles, ce n’est pas suffisant de se baser sur le procès-verbal de police et sur les déclarations d’un accusé », argumente-t-il, en donnant au juge des livres sur l’islam modéré lus par Kevin et des photos de famille présentées comme des preuves de son ouverture d’esprit. Une démonstration retoquée par Me Al-Fataoui. « Je pense que l’accusé suisse cache beaucoup de choses. Les polices suisse et marocaine doivent approfondir l’enquête », réclame-t-il.

Photographies de la Suédoise Louisa Vesterager Jespersen et de la Norvégienne Maren Ueland, assassinées le 17 décembre 2018 par des islamistes marocains dans le Haut-Atlas. / FADEL SENNA/AFP

La famille de Kevin est aussi accompagnée par une avocate du barreau de Genève, Me Saskia Ditisheim. « Mon client suisse n’a pas eu droit à un procès équitable et ses droits fondamentaux ont été violés. Il a été forcé de signer des déclarations en arabe qu’il ne comprenait pas. Il a été coupé constamment pas le juge en audience et il n’avait pas accès à une traduction fiable », observe-t-elle.

A la fin de sa plaidoirie, Me Sahli demande que son client « prenne la parole sans qu’on lui pose de questions » lors de la prochaine audience, qui se tiendra le 18 juillet et qui entendra une dernière fois les accusés. Les verdicts pourraient tomber le même jour.