Voilà que de nouveau, Eric Woerth, ancien ministre devenu député (LR) et président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, se retrouve devant la Cour de justice de la République (CJR). Cinq ans après l’affaire de l’hippodrome de Compiègne – l’histoire d’une vente de parcelles de terrain controversée, pour laquelle il avait obtenu un non-lieu de la CJR, fin 2014 – l’ex-ministre du budget de François Fillon est sous le coup d’une nouvelle enquête de cette juridiction, seule compétente pour juger les actes et décisions des membres de gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions.

Il s’agit cette fois de l’affaire Tapie et plus particulièrement du traitement fiscal avantageux appliqué, en 2009, aux 403 millions d’euros que venait alors d’obtenir l’homme d’affaires Bernard Tapie dans le dossier Adidas, l’année précédente, au terme du fameux arbitrage controversé qui l’avait opposé au Crédit lyonnais.

Enquête ouverte

Comme le confirme une source judiciaire après des révélations du Parisien le 11 juillet, la CJR a ouvert, en juin, une enquête visant Eric Woerth pour de possibles faits de « concussion » – le terme employé pour des malversations commises dans l’exercice d’une fonction publique – à cette occasion. La CJR cherche à savoir si M. Woerth, alors en poste au budget, n’aurait pas accordé un avantage fiscal indu à l’homme d’affaires.

En fait, cette enquête ouverte il y a « environ un mois » par la Cour de justice de la République découle elle-même de l’ouverture, en mars 2016, au parquet de Paris, d’une information judiciaire pour « concussion, complicité et recel » sur ce coup de pouce fiscal – une information judiciaire toujours en cours, mais qui vient donc d’être disjointe, afin que le rôle de M. Woerth puisse être examiné par la CJR, conformément aux textes. Toujours selon Le Parisien, le parquet de Paris aurait d’ailleurs récemment prononcé une mise en examen dans cette affaire, visant « un membre du cabinet d’Eric Woerth ».

Les faits, qui remontent donc à 2009, avaient été révélés par Libération, en 2013. Le quotidien avait raconté comment Bernard Tapie, recevant ses 403 millions d’euros, dont 45 millions net d’impôt, avait souhaité que l’indemnité principale soit taxée comme une plus-value (à 1,67 %), face à une administration fiscale voulant appliquer l’impôt sur les sociétés (33,3 %).

Cadeau sur deniers publics

Selon Libération, après un long affrontement, le fisc avait soumis deux options au ministre : l’application stricte du droit, soit une facture fiscale de 100 millions d’euros ; ou une transaction à 72 millions avec Tapie, afin d’éviter qu’il ne conteste la facture en justice. Or, le 2 avril 2009, Eric Woerth avait choisi le second projet, en l’améliorant encore pour descendre à 11,2 millions d’euros d’impôts… octroyant à Bernard Tapie un cadeau fiscal substantiel, sur deniers publics.

Puis en novembre 2015, un rapport de Gilles Johanet, alors procureur général de la Cour des comptes, avait mis le feu aux poudres. S’interrogeant sur « les conditions très favorables d’imposition » accordées à Bernard Tapie, le haut magistrat avait accusé Eric Woerth d’avoir offert à Tapie une « exonération fiscale » de plusieurs dizaines de millions d’euros, « en violation des textes légaux et réglementaires ». « Le juge pourrait considérer que certaines des personnes qui sont intervenues sur ce dossier ont cherché à s’affranchir intentionnellement des textes applicables (…) », écrivait-il dans ce document transmis à Bercy puis à la justice. S’en était suivie l’ouverture de l’enquête au parquet de Paris.

Ainsi, dix ans après les faits, cette affaire dans l’affaire – l’octroi d’un cadeau fiscal à Bernard Tapie, en plus d’un arbitrage déjà ultrafavorable – finit par rattraper Eric Woerth. Un ex-ministre dont le sort doit être tranché par la commission d’instruction de la CJR, composé de trois magistrats de la Cour de cassation.

Dans un drôle de télescopage judiciaire, l’annonce de l’enquête visant M. Woerth intervient juste au moment où, s’agissant de l’arbitrage lui-même, Bernard Tapie vient d’obtenir une relaxe générale, au pénal, mardi 9 juillet, à l’issue d’un procès pour escroquerie. Et ce, même s’il reste condamné, au civil, à rembourser les montants perçus, après l’annulation de l’arbitrage par la cour d’appel en 2015.

« Cette affaire repose le problème des ristournes fiscales opaques accordées par les ministres dans le secret de leurs bureaux, estime Jean-Christophe Picard, le président de l’association anticorruption Anticor, dès lors qu’il y a ristournes, celles-ci doivent être motivées, et la liste des bénéficiaires transmise à la Cour des comptes, au-delà d’un seuil à définir. La réponse à apporter à l’avenir, c’est la transparence. »