Bruno Le Maire, à l’Elysée, le 3 juillet. « La France est un Etat souverain, elle décide souverainement de ses dispositions fiscales », a déclaré , jeudi 11 juillet, le ministre de l’économie au Sénat, lors de l’adoption définitive de la taxe sur les services numériques. / LUDOVIC MARIN / AFP

Davantage taxer les grandes entreprises du numérique dans son pays n’est pas une tâche aisée. « La France est un Etat souverain, elle décide souverainement de ses dispositions fiscales », a asséné, jeudi 11 juillet, Bruno Le Maire, au Sénat, lors de l’adoption définitive de la taxe sur les services numériques, souvent surnommée « taxe GAFA », en référence à Google, Apple, Facebook et Amazon. « Entre alliés, nous pouvons et nous devons régler nos différends autrement que par la menace », a ajouté le ministre de l’économie. Ces sentences étaient une réponse – ferme – aux menaces de rétorsion brandies la veille par l’administration du président américain Donald Trump.

Washington a annoncé mercredi l’ouverture d’une enquête contre la France, suggérant que Paris, « avec cet impôt, cible de manière inéquitable certaines entreprises technologiques américaines ». Les vins ou d’autres produits français pourraient être taxés outre-Atlantique, en réponse au prélèvement français de 3 % du chiffre d’affaires sur les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros dans le monde et 25 millions en France d’activités numériques.

Face au coup de semonce de M. Trump, le gouvernement français a été soutenu par les autres groupes politiques qui ont tous voté le projet de loi. Rare consensus national… « Ce texte représente un symbole important, la réaction américaine le montre. Cela nous invite à mettre en œuvre avec force cette taxe », a déclaré Sophie Taillé-Polian (Val-de-Marne) du groupe socialiste et républicain. « Nul doute que la France sera une fois encore une voix d’accélération de l’adoption d’une solution internationale, quelles que soient les menaces de Donald Trump », a ajouté Sylvie Vermeillet (Jura) du groupe Union centriste.

Des entreprises françaises victimes collatérales

Toutefois, l’adversité est forte. Comme souvent, Google, Facebook ou Apple n’ont pas souhaité réagir, mais les syndicats professionnels dont ils sont membres ont mis la pression. « En voulant surtaxer unilatéralement des acteurs américains, Bruno Le Maire a déclenché une guerre commerciale qui pénalise la tech française aujourd’hui et pénalisera demain de nombreux secteurs qui font la réussite de l’économie française dont le vin, l’automobile, et le luxe », a déclaré Giuseppe de Martino, président de lAssociation des services Internet communautaires. « Cette taxe dit aux start-up et aux investisseurs d’emmener leur innovation et leur entreprise ailleurs qu’en France », a ajouté Christian Borggreen, de la branche européenne de la Computer & Communications Industry Association.

Interrogées, les associations Tech in France ou France digitale regrettent aussi que des sociétés restées françaises comme Criteo ou rachetées comme Leboncoin ou Rakuten (ex-Price Minister), soient des victimes collatérales de la taxe, qui visera une trentaine d’entreprises.

Un traitement spécifique

Tous soulignent qu’une solution mondiale serait préférable, même M. Le Maire : « Cette taxe est temporaire : dès que l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] aura adopté une solution crédible de taxation des activités du numérique, la France la retirera », a-t-il rappelé, tout en ajoutant : « Je veux redire à nos partenaires américains que cette taxe nationale doit être une incitation à accélérer encore plus les travaux pour atteindre une solution internationale. »

Mais, à l’OCDE aussi, les débats sont sensibles. Les Etats-Unis sont agacés par la France, car ils ont depuis 2018 ouvert la porte – autrefois fermée – à une négociation fiscale internationale, qui a mené à un accord politique de 127 pays puis à un programme de travail fin mai. Washington pousse une solution qui dépasserait le cadre des « entreprises numériques » et taxerait davantage les bénéfices des multinationales dans le pays où leurs produits sont distribués, moins dans leur pays d’origine. Ce big bang fiscal toucherait les groupes français exportateurs comme Louis Vuitton en Chine… La France se dit ouverte à l’idée de ne pas se cantonner au numérique, mais continue de réclamer un traitement spécifique de ce secteur. Elle note que le Royaume-Uni a lui aussi voté une « taxe GAFA », ce jeudi.

« Espérons que, malgré les tensions, le vote de la taxe française facilitera la conversation globale au G7 la semaine prochaine », exhorte Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Les ministres des finances des pays du G7 se rencontrent les 17 et 18 juillet, à Chantilly, dans l’Oise. L’OCDE espère un accord sur une solution commune d’ici à octobre 2020.

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