Le 8 juillet, au All England Law Tennis and Croquet Club, à Wimbledon. / GLYN KIRK / AFP

Avec la sainte trinité dans le dernier carré, campée sur le podium douze ans après son avènement au classement, le cru 2019 de Wimbledon n’a, à première vue, pas enclenché la moindre révolution. Comme si la présence de Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic voulait satisfaire au conservatisme des organisateurs, à cheval sur l’étiquette et le code vestimentaire, et épousait un peu plus la tradition séculaire du tournoi, où on ne plaisante ni avec « The Queue » ni avec la hauteur du gazon (taillé à 8 mm).

Mais tout bichonné qu’il est, le brin d’herbe vole la vedette aux joueurs depuis le début de la quinzaine. Un changement n’a échappé à personne ou presque : le ralentissement du jeu. Cela fait plusieurs années que joueurs et joueuses s’en émeuvent mais à les entendre, le gazon londonien, autrefois réputé pour sa rapidité, n’a jamais été aussi lent que lors de cette édition.

« De ce que j’ai compris, ils ont choisi un brin d’herbe qui pousse en X, ce qui ne permet plus à la balle de fuser »

La Canadien Milos Raonic s’est montré le plus élaboré sur la question, regrettant cette perte de vitesse : « Entre mes premières participations ici et ces dernières années, je trouve qu’il y a eu un déclin constant. De ce que j’ai compris, ils ont choisi un brin d’herbe qui pousse en X, ce qui ne permet plus à la balle de fuser. C’est une démarche délibérée qui a totalement changé le tennis sur gazon. »

Pendant des décennies, Wimbledon a été le temple du tennis offensif parmi les quatre tournois du Grand Chelem. Moins d’un mois après Roland-Garros, il fallait opérer la transition la plus délicate du circuit : renoncer aux glissades, aux lifts giclants, aux rebonds très haut et aux longs rallyes, et s’adapter à des schémas de jeu écourtés, monter au filet, bien retourner.

« L’impression de jouer sur terre battue »

Aujourd’hui, il a rétrogradé derrière l’US Open et l’Open d’Australie. De là à en faire le Grand Chelem le plus lent du circuit ? Certains ont franchi le pas, comme l’Américain Denis Kudla : « C’est définitivement le Grand Chelem le plus lent et de loin. Ces terrains sont maintenant tellement lents, c’est juste fou », a-t-il déploré au début de la quinzaine.

« Si vous regardez les échanges, ils sont plus courts à l’US Open qu’à Wimbledon, ça en dit long sur le sujet », a renchéri Federer, qui s’en est toutefois accommodé, lui qui y disputera, dimanche 14 juillet, sa 12e finale, face à Djokovic.

D’autres joueurs ont confirmé ce renversement des lois de la surface : le Belge Ruben Bemelmans a eu « l’impression de jouer sur terre battue ». Gilles Simon s’est montré encore plus radical : « Cette année, c’est une catastrophe. La terre, ça fait des années que ça va plus vite que le gazon. »

Les serveurs-volleyeurs sont aujourd’hui une espèce en voie d’extinction

Le tournoi perd de sa vitesse et avec, une partie de son âme. Wimbledon, c’est avant tout Rod Laver, John McEnroe, Boris Becker, Pete Sampras… Avec un rebond très bas et une balle qui fuse, la surface obligeait les joueurs à terminer au filet.

Les serveurs-volleyeurs sont aujourd’hui une espèce en voie d’extinction. Le pourcentage de service-volée pratiqué en simple chez les hommes était de 33 % en 2002, contre… 5 % cette année (statistique avant les quarts de finale). Chez les femmes, ce chiffre a dégringolé à… 1 %.

Le constat désespère l’ancien joueur et capitaine de Coupe Davis suisse Marc Rosset, qui s’en est ouvert dans une tribune en forme de SOS dans Le Temps cette semaine : « Les organisateurs sont allés trop loin dans le ralentissement de la surface. Quand on voit lundi [8 juillet, en huitième de finale] le slice de Federer qui reste sur place et Berrettini, tout surpris, qui se retrouve les quatre fers en l’air, on se dit qu’il y a quelque chose de pas normal. »

Résultat, nombreux sont les joueurs élevés sur terre battue à ne plus faire de la figuration à Wimbledon : on a vu, pour la deuxième année d’affilée, la plus grande colonie italienne (9 joueurs) et certains se découvrir la main verte comme l’Argentin Pella (pays qui ne compte qu’un seul court en gazon), ou l’Espagnol Roberto Bautista Agut, qui a atteint à Londres la première demi-finale de Grand Chelem de sa carrière.

Rallye le plus long de l’histoire de Wimbledon

Certains matchs se sont parfois résumés à des batailles de fond du court. Lors de la demi-finale entre Bautista-Agut et Djokovic, vendredi, la longueur des échanges était parfois si insensée, dépassant les 30 coups, qu’elle déclenchait des gloussements parmi les spectateurs d’ordinaire si policés du Centre Court. Les deux hommes échangèrent même 45 coups d’affilée, le rallye le plus long de l’histoire du tournoi, du moins depuis que cette donnée est enregistrée.

Même Rafael Nadal joue pratiquement comme sur terre, à l’exception de son jeu de jambes. Vendredi, en demi-finale contre Federer, il y avait quelque chose d’abracadabrant à le voir enchaîner les lifts…

Mais la question, posée en boucle, agace le Majorquin car elle dévalue selon lui ses performances. « Pour moi, le gazon est le même depuis 2003, ma première année ici. Par contre, consent-il à préciser, ce qui rend peut-être le jeu plus lent, ce sont les balles. »

Après Roland-Garros, où les terriens ont tenu leur rang, beaucoup salivaient de voir, à Londres, des Stefanos Tsitsipas, Denis Shapovalov, Alexander Zverev ou Kevin Anderson jouer les épouvantails. « Au lieu de ça, conclut Marc Rosset, on se retrouve avec des Kukushkin, Pella, Sousa, qui sont capables d’éliminer les trouble-fêtes mais qui n’ont pas les moyens derrière de tenir tête à Nadal ou Federer » et d’offrir des cuvées de tennis champagne.

Heureusement, toutes les traditions ne se perdent pas à Wimbledon. Dans les allées, le verre de Pimm’s, lui, se vend toujours à 8,50 livres, et sa recette reste inchangée. L’honneur est sauf.