Thomas De Gendt, à l’arrivée de la 8e étape du Tour de France à Saint-Etienne. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Les monts du Lyonnais ont été le théâtre d’une haletante course-poursuite dans le final de la huitième étape, remportée par le poursuivi : Thomas De Gendt arrache sa deuxième étape dans le Tour de France, malgré l’offensive de Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot dans la dernière côte. Bonne opération pour les deux Français, très en jambes : maillot jaune pour l’un et troisième place du classement pour l’autre, avec 19 secondes d’avance sur Geraint Thomas.

« Je ne suis pas assez bon au sprint, je ne suis pas assez bon en montagne, je ne suis pas assez bon en contre-la-montre. Le seul moyen pour moi de gagner des courses, c’est de prendre les échappées. » Thomas De Gendt en prend plus souvent qu’à son tour, ça va rarement au bout, mais quand ça y va, c’est génial.

On l’avait rencontré jeudi dans un Ibis de la périphérie de Mulhouse pour évoquer sa condition de baroudeur dans un cyclisme qui les voit disparaître. Samedi, après avoir ouvert la route au cœur des coteaux du Beaujolais et des monts du Forez, le Belge de 32 ans a remporté à Saint-Etienne une victoire comme on n’en fait plus.

Parti trois kilomètres après le départ de la 8e étape à Mâcon, soit 197 avant l’arrivée tout de même, De Gendt a réussi ce que d’aucuns qualifieraient de « sacré numéro ». D’abord en quatuor – avec Terpstra, King, De Marchi, trois confrères baroudeurs –, puis en duo avec le seul De Marchi pendant 50 bornes, puis en solo quand l’Italien fut lâché à son tour dans la côte de la Jallière, à 13 kilomètres de la ligne.

On n’oubliera pas le suspense diffusé par la fonte progressive, seconde par seconde, kilomètre après kilomètre, de son avance sur le peloton (5 minutes maximum), ni le duel final à distance ébouriffant avec Alaphilippe et Pinot, lancés à toute berzingue à ses trousses dans les faubourgs de Saint-Etienne.

26 échappées en 2018, 13 en 2019

Thomas de Gendt a remporté sa course-poursuite géante avec un panache réjouissant, et gagné le droit d’inscrire une buchette supplémentaire dans son téléphone, comme il le fait après chaque journée passée à l’avant. Le coureur de la Lotto-Soudal tient les comptes : en 2018, il a inscrit 26 buchettes (pour deux victoires). Le voilà à 13 en 2019 (deux victoires).

« J’ai commencé à noter mes échappées en 2015. Avant ça, j’étais plutôt un coureur qui visait le classement général. » En 2012, il finit 3e de son premier Tour d’Italie. L’année d’après, il tente de jouer le général sur le Tour de France : « Après trois étapes, j’avais déjà 40 minutes de retard. Avec le stress, je faisais plein d’erreurs, j’étais derrière des chutes, ou pris dans des chutes. Je n’étais pas assez bon. Alors j’ai décidé que je ne jouerais plus le général sur les Grands Tours. »

Une photo qui donne soif. / JEFF PACHOUD / AFP

« De toute façon, poursuit-il, si je le faisais, je ne serais même pas candidat au podium, vu les mecs qu’on a devant en ce moment. Au mieux, je pourrais atteindre entre la 10e et la 15e place du Tour de France. Et il faudrait que je sacrifie un tas de courses pour avoir mon pic de forme au bon moment. Sachant que si tu fais ça, tu peux aussi ne jamais gagner la moindre course. T’as un 7e place ici, une 8e place là, tu fais 12e au général. Ce n’est pas le genre de palmarès que je veux. »

Sans parler des semaines obligatoires en altitude, de la concentration infernale que réclame une course de trois semaines, ou des restrictions alimentaires : « Je suis à 7 % de masse graisseuse. Les mecs qui jouent le général sont autour de 5 %. C’est impossible, ça ne serait pas bon pour ma santé. »

Anachronisme

De Gendt a donc choisi de vivre une vie de chasseur d’étapes, à l’avant dès que possible, comme il le fait depuis ses dix ans et ses premières courses, où il s’échappait dès le drapeau baissé, et alors on ne le revoyait plus : « Il faut être agressif pour gagner des courses quand on est jeune coureur. Quand je suis devenu professionnel, j’ai juste continué à faire la même chose. »

De nos jours, la recette paie moins qu’avant. « La plupart des équipes savent que si je pars, elles devront rouler très, très vite derrière, donc on ne me laisse plus partir si facilement. Et pendant le Tour, encore moins : tout le monde veut gagner une étape, il est hors de question pour le peloton d’en offrir gratuitement aux échappés, comme il y a dix ou quinze ans. » Thomas De Gendt est une forme d’anachronisme : « C’est sûr qu’avec ma façon de courir, j’aurais gagné plus de courses si j’étais né vingt ans plus tôt. »

Vainqueur d’étape – cas rare – sur les trois Grands Tours (France, Italie, Espagne), Thomas de Gendt place celle de Saint-Etienne au-dessous de celle au Mont Ventoux, en 2016. « Parce que ça a duré 200 km, et que je gagne avec 6 secondes d’avance. » Interrogé sur la recette pour gagner ce genre d’étapes sévèrement vallonnées, le Belge a d’abord évoqué son entraînement à Calpe (Espagne), précisément sur ce genre d’ascensions pas trop longues (6 à 7 kilomètres, 20 à 30 minutes). Puis il a révélé l’ingrédient secret : « Il faut juste à aller à fond toute la journée. » Ce qui n’est pas gratuit : « Je pense que je vais voir quelques journées un peu moins bonnes maintenant. »

Le Tour du comptoir : Mâcon

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Dans la création de la gaufrette mâconnaise, l’opération de démoulage de la gaufrette est un moment décisif. / CG / Le Monde

Où l’on s’est goinfré de gaufrettes.

Au panthéon des fonctions les plus gratifiantes, faisons une place pour celle-ci, quelque part entre « ambassadeur du Tour de France » et « doyen de la faculté » : « Grand maître de la confrérie de la gaufrette mâconnaise ». Claude Poissonnet a créé la confrérie il y a 12 ans et, charité bien ordonnée, a pris le titre de grand maître.

C’est une bonne situation, ça, grand maître de confrérie ? « On parcourt la France de salon en salon, et ça permet d’être intronisé chez les confréries amies, mais on ne mange pas du homard toutes les semaines non plus. » Tiens, il y a aussi un abonnement offert à Mediapart, semble-t-il.

Dans Mâcon en fête pour le passage du Tour de France - mais rien sur le transfert de l’idole locale au FC Barcelone -, la confrérie a sorti deux tables et la machine à gaufrettes pour faire croquer les Mâconnais. Mais pas les robes jaunes, rouges et bleues, il fait trop chaud.

De droite à gauche, le Maître Cuisinier, le Grand Maître, « la secrétaire » et une personne non identifiée qui passait là. / CG / Le Monde

Vu de loin, les confréries gastronomiques semblent être un bon prétexte pour se déguiser avec les copains, sortir les nappes en papier pour de grands banquets arrosés, et se goberger de bons produits de nos régions dans divers salons. Vu de près, c’est à peu près pareil. Mais il y a aussi l’aspect patrimonial : « J’étais président de l’office de tourisme, et on cherchait une spécialité culinaire à remettre au goût du jour. Le choix s’est porté sur la gaufrette , une recette du XVIe siècle qui avait presque disparu. »

La gaufrette, c’est un quart de farine, un quart de sucre, deux quarts de crème épaisse de Bresse. Claude Poissonnet connaît la recette, puisqu’il était pâtissier, et tenait donc la Pâtisserie Poissonnet, ce qui nous a fait rire - nous sommes bon public.

La crème de Bresse. / CG / Le Monde

Parmi les dernières confréries lui ayant beaucoup plu, citons la Confrérie mondiale de l’omelette géante, spécialisée dans les omelettes à 15 000 œufs (ce qui fait un beau stock de coquilles). « Eux, ils ont une organisation quasi-militaire, ça roule, personne ne bronche. » Le rêve, donc. La confrérie de la gaufrette mâconnaise n’a pas ces rêves de grandeur pour l’instant. Elle se contente de ses 120 intronisés et 16 chevaliers, parmi lesquels le Grand Argentier, le Chef du Protocole, le Responsable des intronisations ou le Maître Cuisinier, autant de fonctions qui méritent sans doute des capitales.

Bernard Thévenet, un gars du coin, et Michou, toujours dans les bons coups, font tous deux partie des célébrités intronisées mais hormis cela, la confrérie de la gaufrette mâconnaise ne chasse pas les people. La preuve, elle n’a même pas pensé à solliciter Christian Prudhomme.

CG / Le Monde