8E ÉTAPE : MÂCON - SAINT-ÉTIENNE, 200 KM

Photo à la fois périmée et bientôt de nouveau d’actualité. / Christophe Ena / AP

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » D’évidence, ce n’est pas à l’équipe Ineos qu’Alphonse de Lamartine pensait lorsqu’il écrivit L’Isolement, en 1820. De son regard de bronze, le poète surveillera le départ de la 8e étape, ce midi, dans sa ville de Mâcon, et pourra constater que s’il manque effectivement un être, quadruple vainqeur du Tour, au sein de la formation du tenant du titre Geraint Thomas, celle-ci ne s’en porte pas plus mal, merci pour elle.

Le Tour de France ne s’en porte pas plus mal non plus d’ailleurs, merci pour lui aussi. Absolument rien de personnel là-dedans, mais on doit bien reconnaître qu’un Tour sans Chris Froome a quelque chose de reposant. C’en est presque inquiétant : voilà une semaine que la course a débuté, et on n’a parlé que de vélo, un comble. Les organisateurs peuvent se réjouir, tout va bien, aucune nuage à l’horizon. N’était-ce la beauté suprême des paysages, on pourrait se croire sur le Tour de Suisse.

Un troupeau de vaches. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Pas la moindre « pissgate », pas la moindre blocage de la course par des paysans dispersés à coups de lacrymos, pas le moindre polémique d’ordre technique, vestimentaire, ou médicamenteux. Non, vraiment, cette édition 2019 est pour l’instant bien sage. Ce ne sont pas l’incendie d’un camion contenant du matériel dans la nuit de mercredi à jeudi en Alsace, ni le happening des salariés de General Electric à Belfort vendredi, ni l’intoxication alimentaire au sein de l’équipe Cofidis qui risquent de faire dérailler la course.

Le guet-apens de 1904

L’arrivée du jour à Saint-Etienne rappellera aux coureurs qu’il fut un temps plus agité, où leurs aïeux risquaient leur peau sur le Tour de France. En 1904, à la sortie du chef-lieu de la Haute-Loire, dans l’ascension du col de la République, le peloton était tombé dans une effroyable embuscade nocturne tendue par des partisans d’un des coureurs. « Nous apercevons une centaine d’individus formant la haie de chaque côté de la route ; ils sont armés de gourdins et de pierres », avaient raconté plusieurs victimes dans le récit que vous pouvez lire ci-dessous, dégoté par David Guénel, dont le compte Twitter regorge de pépites de la sorte.

A priori, les seules menaces pour peloton cet après-midi seront les sept ascensions répertoriées d’un parcours particulièrement casse-pattes, totalisant près de 4 000 m de dénivelé, et susceptible de faire le bonheur de Julian Alaphilippe – à six secondes du Maillot jaune Giulio Ciccone, qui fait du Français « le favori » du jour pour récupérer la tunique.

« Nous sommes allés chercher toutes les bosses possibles et imaginables entre Mâcon et Saint-Étienne », promet Thierry Gouvenou, l’homme qui dessine le Tour. En attendant les grandes manœuvres entre costauds, la semaine prochaine, dans les Pyrénées, belle baston en perspective aujourd’hui entre les coureurs de « l’autre Tour », celui qui ne concerne pas le classement général. Si vous avez vu l’étape d’hier : cela devrait être tout l’inverse.

Les 230 kilomètres entre Belfort et Chalon-sur-Saône, vendredi, ont été le théâtre de l’étape la plus longue et la plus ennuyeuse du Tour, une de ces journées où l’on est heureux de ne pas devoir commenter le néant pendant six heures sur France Télévisions, et où l’on combat la léthargie en débattant avec les autorités compétentes sur ces loooongues étapes de transition où l’on n’échappera plus jamais à un sprint massif.

« Une étape comme [hier], on en a besoin pour se dépêcher d’aller d’un massif montagneux à un autre, explique Thierry Gouvenu. C’est incontournable dans le Tour, on en a deux ou trois comme ça cette année. Ça permet aux coureurs de récupérer et d’avoir du jus pour les étapes suivantes. »

Un jour, des étapes courtes et plates

Il n’y pas si longtemps encore, ces étapes de transitions présentaient l’avantage d’autoriser les échappées-fleuves, et de permettre à Jacky Durand de lever les bras ici ou là. « Les équipes s’adaptent en permanence, semble déplorer Thierry Gouvenou. Maintenant, les équipes de sprinteurs sont tellement bien organisés que c’est hyper dur. Et dans une équipe où il y a un gros leader, les équipiers n’attaquent jamais. Avant, ça n’existait pas. Miguel Indurain avait deux coureurs autour de lui, et le reste faisait sa vie. Maintenant, c’est tellement contrôlé, il n’y a plus d’initiatives. »

Un troupeau de cyclistes. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Nicolas Portal, directeur sportif d’Ineos, suggère une solution pour permettre aux attaquants d’arracher à nouveau quelques étapes aux sprinteurs : fait court et plat. « S’il y a huit bons mecs en échappée, sur cent bornes, c’est pas sûr que les équipes de sprinteurs les rattrapent. Le niveau est tellement haut que sept ou huit gars très bons rouleurs peuvent tenir la chandelle à trois équipes de sprinteurs. Quand c’est long, le meilleur athlète, le plus endurant, sort du lot. Quand c’est court, tous les mecs sont très bons et peuvent faire trois heures, trois heures et demie à bloc. Donc des étapes courtes de plat, ça pourrait être intéressant. D’ailleurs ça fait longtemps qu’on en parle chez ASO. »

« Les étapes courtes de plat, ça va bientôt arriver, c’est clair, confirme Thierry Gouvenou. Mais ça ne peut pas devenir systématique, parce que sinon, on n’avance pas. Il faut des étapes pour aller vite d’un massif à un autre. Clairement, on n’aura jamais un Tour de France avec 21 étapes disputées du départ à l’arrivée, c’est impossible. Il faut accepter le fait que notre sport est parfois lent, pas toujours très vif. Ça change de la vie normale où tout le monde est speed. »

C’est sûr qu’il y a cent ans, les préoccupations n’étaient pas les mêmes : l’étape la plus longue du Tour 2019 aurait été la plus courte du Tour 1919.

Départ 12 h 25 ; arrivée vers 17 h 30. Thibat Pinot et David Gaudu vous souhaitent une bonne étape.