Angela Merkel assiste au traditionnel défilé militaire du 14-Juillet, sur les Champs-Elysées, à Paris, à l'occasion de la fête nationale. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR LE MONDE

La santé de la chancelière ? Une affaire privée, estiment les Allemands dans leur majorité. Selon un sondage réalisé au lendemain de la troisième crise de tremblements ayant saisi Angela Merkel en l’espace de trois semaines, seulement 34 % des personnes interrogées souhaitent que celle-ci publie un bulletin de santé détaillé ; 59 % considèrent que le sujet relève de la vie privée, d’après cette enquête de l’institut Civey pour l’Augsburger Allgemeine Zeitung, parue samedi 13 juillet.

En découvrant ce sondage, Angela Merkel aura sans doute pensé qu’il valide sa propre stratégie de communication. Jusqu’à présent, la chancelière allemande a en effet été fort peu diserte sur l’origine de ses tremblements.

Les premiers s’étaient manifestés le 18 juin en présence du nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Elle les avait alors attribués à une déshydratation liée à la forte chaleur qui régnait ce jour-là sur Berlin. « J’ai bu au moins trois verres d’eau, c’est ce qui m’a manifestement manqué et, à présent, je me sens très bien », avait-elle ensuite déclaré.

Depuis, la chancelière a été prise de tremblements à deux reprises : le 27 juin au château Bellevue, la résidence du président fédéral Frank-Walter Steinmeier ; puis mercredi 10 juillet, à la chancellerie, où elle recevait le premier ministre finlandais Antti Rinne.

« Il n’y a pas de souci à se faire »

Selon elle, l’origine de ces nouvelles secousses est psychologique. « Je suis encore dans une phase de traitement de la première manifestation [du 18 juin] aux côtés du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Cela demande un peu de temps. Mais je vais très bien. Il n’y a pas de souci à se faire », a-t-elle déclaré à la presse, mercredi, après sa troisième crise de tremblements aux côtés de M. Rinne.

Interrogée à nouveau, le lendemain, sur son état de santé, Angela Merkel s’est voulue tout aussi rassurante. « D’abord, soyez certains que je suis consciente des responsabilités qui sont les miennes eu égard à mes fonctions. Ensuite, sachez qu’en tant que personne mon intérêt est d’être en bonne santé et de prendre soin de moi », a-t-elle assuré aux côtés de la première ministre danoise, Mette Frederiksen.

Une heure et demie plus tôt, sur le tapis rouge déroulé devant la chancellerie, c’est sur des chaises que les deux femmes avaient écouté les hymnes de leurs pays. Une première. Après avoir déjà tremblé à deux reprises dans les mêmes circonstances, Angela Merkel a préféré éviter, cette fois, de rester debout pendant les hymnes.

De la part d’une chancelière qui a toujours veillé jalousement au respect de son intimité, de telles déclarations ne sont pas surprenantes. En communiquant avec parcimonie sur sa santé, elle est avant tout fidèle à sa nature.

Mais elle est aussi en phase avec les habitudes allemandes en la matière. « Dans la République fédérale, il est de bon ton de ne pas spéculer publiquement sur l’état de santé des dirigeants politiques. Et il n’y a pas de règles imposant à ceux qui détiennent un mandat de faire des examens médicaux réguliers », rappelait le Spiegel, jeudi.

Deux lignes s’affrontent

Angela Merkel, qui fêtera son 65e anniversaire mercredi 17 juillet, pourra-t-elle s’en tenir durablement à cette discrétion sur son état de santé ? Depuis quelques jours, et singulièrement depuis la troisième crise de tremblements de la chancelière, le 10 juillet, le débat prend de l’ampleur, notamment dans la presse où deux lignes s’affrontent.

D’un côté, ceux qui estiment que les explications de la chancelière suffisent. C’est le cas de Lisa Caspari, rédactrice en chef adjointe de l’hebdomadaire Die Zeit. « Même pour une chancelière fédérale, la santé est une affaire privée. Dans une société libre, personne ne doit avoir à répondre de son état de physique ou mental, et encore moins de produire publiquement un document sur le sujet (…) Jusque-là, aucun élément ne permet de dire que la capacité de travail d’Angela Merkel est affectée. Jamais elle n’a eu d’absence dans les moments importants, jamais elle n’a semblé déconcentrée ou ailleurs pendant une conférence de presse. »

Pour d’autres, en revanche, les éléments fournis par Angela Merkel sont un peu courts. C’est le cas de Gordon Repinski, rédacteur en chef adjoint de RedaktionsNetzwerk Deutschland, une agence qui couvre l’actualité nationale et internationale pour une cinquantaine de quotidiens régionaux allemands. Dans un article publié mercredi, le journaliste explique que l’explication selon laquelle « le traitement du premier événement est ce qui a entraîné la répétition de cet événement » pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

« Les mots de Merkel sont de la non-information, ils rendent nébuleux son état de santé réel », écrit M. Repinski, avant d’ajouter : « Une maladie devient une question politique quand il n’est plus certain qu’un(e) dirigeant(e) ait toute l’énergie pour accomplir sa mission. (…) La chancelière devrait le comprendre et répondre de façon offensive aux questions. Sinon elle n’en aura pas fini avec ce débat jusqu’à la fin de son mandat. »

Le risque d’une instrumentalisation

Les adversaires d’Angela Merkel, eux, commencent en tout cas à poser la question de sa capacité à exercer ses fonctions. C’est le cas de Hans Georg Maassen, l’ancien patron du renseignement intérieur limogé à l’automne 2018, proche de l’aile droite de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et qui n’a jamais caché son opposition à la politique d’accueil de la chancelière vis-à-vis des réfugiés.

« L’état de santé d’un chef de gouvernement n’est pas une affaire privée. Les gens en Allemagne ont le droit de savoir si un chef de gouvernement est physiquement en état d’exercer son mandat », a tweeté M. Maassen, jeudi, relayant un article du tabloïd conservateur Bild, dans lequel on pouvait lire ceci : « Empathie. Compassion. Commisération aussi. Mais plus que tout : perplexité. La chancelière est-elle encore suffisamment en forme après quatorze ans de mandat ? »

Le risque d’une instrumentalisation du sujet par les opposants d’Angela Merkel et par la presse tabloïd est aussi l’une des raisons pour lesquelles certains journalistes allemands estiment que davantage de transparence est désormais nécessaire.

A l’instar de Frank Aischmann, de la chaîne publique MDR, qui expliquait, jeudi : « D’innombrables affaires et scandales politiques pouvant aller jusqu’à des démissions ont d’abord fait la une des médias parce qu’ils n’ont pas été politiquement maîtrisés, qu’ils ont été sous-estimés, banalisés ou relativisés. Or, aujourd’hui, l’univers médiatique est devenu encore plus rapide, dur et implacable. Pour cette raison, soyons clairs : ce n’est pas le bulletin médical de Merkel qu’il s’agit d’avoir, juste le blanc-seing de son médecin. »