Les six comédiens de « Ça va, ça va le monde ! », le cycle de lecture de textes francophones des pays du Sud dans le cadre du Festival d’Avignon, en juillet 2019. / Anthony Ravera / RFI

Tous les matins, à 11 heures, Avignon change de continent. C’est l’heure où les « amateurs des littératures africaines », mais aussi les curieux, se donnent rendez-vous à la Maison Jean-Vilar entre l’ancien palais pontifical et la place de l’Horloge. Là, dans le centre historique de la Cité des papes, RFI organise un voyage quotidien baptisé « Ça va, ça va le monde ! », en partenariat avec le festival.

Ce cycle de lectures publiques de textes francophones des pays du Sud veut « contribuer à une meilleure visibilité de ces dramaturges, souvent sous-exposés voire ignorés, en tout cas dont la présence sur les scènes françaises et européennes est malheureusement encore très faible », explique Pascal Paradou, coordinateur du projet depuis son lancement, il y a sept ans. Enregistrées dans cette bâtisse médiévale, réaménagée en hôtel particulier au XVIIe siècle, où rôde encore une partie de l’âme du fondateur de la manifestation culturelle, ces lectures sont ensuite diffusées tout l’été sur les antennes de RFI, « la radio mondiale ».

Samedi 13 juillet, pour la première séance d’ouverture du cycle, Valéria et près de 300 autres personnes assistent à la lecture de la pièce Les Inamovibles, un texte du jeune dramaturge béninois Sèdjro Giovanni Houansou, lauréat du prix RFI Théâtre 2018. Une histoire tragique, comme la plupart de celles liées à la migration, mais que l’auteur relate à la fois avec drôlerie et gravité.

C’est le drame de Malik, parti « tenter sa chance » en Europe, et qui finit par se jeter sous un train, afin de ne pas rentrer la tête basse au pays. C’est le calvaire de Lamine, autre exilé, qui souhaite repartir chez lui, mais dont le retour s’avère impossible, car il est « prisonnier » d’un vil passeur. C’est enfin la tragédie de celles et ceux qui, sur le continent, attendent. En somme, un autre regard sur la question des migrations, qui explore l’impossibilité du retour.

Pari réussi

Fortuitement accompagnés par le chant des cigales et la musique des grillons, les six comédiens (dont deux femmes) offrent leur voix à ce texte poignant. Et le public, par ses rires, ses applaudissements, ses murmures, se surprend tantôt en acteur tantôt en personnage de la pièce. Sans doute en a-t-il été de même pour les 6 000 personnes qui ont suivi la représentation en direct sur les réseaux sociaux. Pari réussi, donc, pour le metteur en scène belge Armel Roussel, qui a mis en voix les six textes programmés pour cette édition 2019 de « Ça va, ça va le monde ! ».

Jusqu’au 18 juillet, trois autres auteurs dramatiques francophones subsahariens seront lus à Avignon. Le Camerounais Sufo Sufo, qui décrit une jeunesse rêvant d’exil dans sa pièce Debout un pied. Le Guinéen Souleymane Bah, dont le texte Danse avec le diable interroge les liens entre la corruption et le terrorisme qui gangrènent une partie de son continent. Le Togolais Mawusi Agbedjidji, qui revient sur la déculturation imposée par la colonisation avec sa pièce Transe-maître(s).

Autant de thèmes que le public pourra également retrouver lors de la lecture des textes d’auteures venues d’autres espaces de la francophonie. Ainsi, la Franco-Roumaine Alexandra Badea explore-t-elle la question de l’aide aux migrants dans Celle qui regarde le monde, et la Libanaise Hala Moughanie qui va clore ce cycle de lectures avec Memento Mori, sur la question ténue de la quête d’identité.

La programmation de ce rendez-vous est opérée en fonction de la thématique du Festival d’Avignon, dont cette 73e édition porte sur « L’odyssée ». « Ce cycle de lectures aura déjà permis d’entendre et d’enregistrer trente-six textes d’auteurs francophones, soit le début d’une belle collection radiophonique », indique, satisfait, Pascal Paradou pour souligner la pertinence de ce projet. Une pertinence que reconnaît le comédien et dramaturge congolais Julien Mabiala Bissila, présent à Avignon et fidèle chaque année à ce rendez-vous. « C’est une aubaine pour le public africain, qui souffre d’une absence de lieux de théâtre, d’espaces de création et de diffusion », fait savoir l’artiste qui vit entre Brazzaville, Paris et Bruxelles.

« En réalité, la radio est le plus grand théâtre que l’on puisse imaginer. Notre rôle de média de service public est aussi de sensibiliser à l’écriture contemporaine », ajoute Cécile Mégie, directrice de RFI, également avec enthousiasme et une petite pointe de satisfaction. Plutôt légitime, quand on observe le public qui se précipite chaque matin au jardin de la Maison Jean-Vilar.