Portrait daté de 1951 de l'écrivain fançais Louis-Ferdinand Céline (Destouches). / AFP

FRANCE CULTURE - LUNDI 15 JUILLET - 9 H 00. MAGAZINE

Lorsque la commémoration du cinquantenaire de sa mort a été écartée des célébrations nationales prévues pour 2011, il était clair que la figure de Louis-Ferdinand Céline restait un hapax dans la culture française. Formidable écrivain qui révolutionne la langue dès son premier roman, Voyage au bout de la nuit (1932), dont l’échec au prix Goncourt assure la notoriété et le succès commercial, Céline est aussi l’auteur d’abjects pamphlets, dont le fameux Bagatelles pour un massacre (1937) flatte avec un opportunisme qui n’a rien de courageux la haine antisémite qui se déchaîne depuis l’avènement au pouvoir de Léon Blum l’année précédente, tandis que la fascination pour le totalitarisme hitlérien et son idéologie raciale gagne les esprits. Le pire étant que le danger de ce brûlot, qui s’arrache en librairie bien plus que Mort à crédit (1936), autre chef-d’œuvre célinien, et pourtant dénoncé aussitôt avec une implacable lucidité par Hanns-Erich Kaminski, un juif allemand réfugié en France (Céline en chemise brune, 1938), tient à sa verve bouffonne, rageuse et délirante, qui conserve, même bâclée, la marque du génie langagier de l’auteur.

Une formidable clarté

Il faut donc saluer à sa juste valeur – un monument de rigueur et d’intelligence critique – le travail de Christine Lecerf et Franck Lilin pour envisager le cas Céline autrement que dans la caricature et les simplismes souvent de mise. Si le premier volet (« Un génie monstrueux ») convoque une bonne part de ceux, historiens, écrivains, médecins, sociologues, éditeurs et psychiatres, qui interviendront au fil de la semaine et précise comment chacun a « rencontré Céline », on y entend déjà l’impact d’une création pour beaucoup décisive : la parole des écrivain(e)s est essentielle, d’Annie Ernaux à Marie-Hélène Lafon, toujours implacablement juste.

Lire le reportage : Céline à la lettre

Mais si plane déjà le spectre des pamphlets, dont le public, naguère très politisé, est désormais moins marqué idéologiquement, il faut attendre la quatrième émission (« Bagatelles pour un massacre ») pour que la dissection de la pensée authentiquement nazie de Céline soit menée à terme avec une formidable clarté. Le discours hygiéniste qui conduit à la déshumanisation du juif convenant parfaitement au médecin de dispensaire qu’est le docteur Destouches, nom officiel de l’écrivain, qui adopta pour nom de plume le prénom d’une grand-mère aimée.

Pour mesurer sans aveuglement partisan le sens de l’engagement ignoble de Céline, il faut suivre les épisodes intermédiaires (« Le Voyage » et « Une double vie »), qui apportent leur lot d’informations et de subtiles analyses sur le jeune homme, qui s’ouvre par des séjours linguistiques, en Allemagne et surtout en Angleterre, le soldat de la Grande Guerre, le praticien missionné par la SDN en Afrique et aux Etats-Unis, le médecin des pauvres enfin qu’il fut dans un Paris où ses allures de dandy au tournant des années 1930 en font un jeune écrivain fascinant. D’autant qu’il tient alors encore l’antisémitisme de son père à distance.

Composée avec le souci de n’écarter aucune des voix qui s’élèvent et s’échauffent quand on parle de Céline, cette traversée nourrit autant l’esprit qu’elle incite à revenir à l’œuvre. Moins pour y conclure son procès que pour en percer le génie littéraire résolument unique.

Louis-Ferdinand Céline, au fond de la nuit, produit par Christine Lecerf, réalisé par Franck Lilin. Du 15 au 19 juillet sur France Culture, de 9 heures à 10 heures Disponible ensuite à la demande.

www.franceculture.fr/emissions/louis-ferdinand-celine-au-fond-de-la-nuit-grandes-traversees