Au Niger (ici en août 2018), seulement 11 % des femmes disposent d’un compte en banque, contre 91 % en France. / LUIS TATO / AFP

L’Afrique s’invite à Chantilly. Réunis mercredi 17 et jeudi 18 juillet dans cette petite ville proche de Paris, les ministres des finances du G7 (Etats-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Canada, Italie et Japon) ne parleront pas que de guerre commerciale ou de taxation du numérique.

Alors que Paris a fait de la lutte contre les inégalités le thème central de sa présidence, un volet des discussions sera aussi consacré à l’inclusion financière numérique en Afrique. Autrement dit, comment le digital peut-il accélérer le changement sur un continent dont la population est encore massivement sous-bancarisée ?

En Afrique subsaharienne, le pourcentage d’adultes ayant un compte auprès d’une banque ou d’une autre institution financière s’élève à 43 %

Pour travailler à des pistes d’amélioration, notamment vis-à-vis des femmes, premières victimes de cette exclusion, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a confié à la Fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique) le soin de préparer un rapport qui doit être présenté à ses homologues jeudi. L’enjeu est d’obtenir l’engagement des membres du G7 à ­contribuer à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros à la réalisation des propositions formulées dans le document.

« Nous voulons sortir des sentiers battus et avoir des initiatives concrètes, en nous appuyant sur des ONG, des associations, et pas uniquement sur les réseaux éta­tiques », souligne M. Le Maire. « Cette stratégie a le mérite d’être très pragmatique », insiste-t-il, alors que le G7 français laisse certains partenaires dubitatifs. « L’inclusion financière, pour une femme, c’est la liberté, l’indépendance vis-à-vis de la famille, la possibilité de construire sa vie, ajoute encore le ministre. Il y a là un enjeu considérable d’égalité des genres. »

En Afrique subsaharienne, le pourcentage d’adultes ayant un compte auprès d’une banque ou d’une autre institution financière s’élève à 43 %, selon des données datant de 2017. Un niveau très faible comparé à la plupart des autres grandes régions du monde, telles que l’Asie du Sud (70 %) ou l’Europe et l’Asie centrale (81 %).

Faire évoluer la régulation

Pour autant, les nouvelles technologies ont déjà changé la donne sur le continent. Né en Afrique, au Kenya, le paiement mobile permet désormais aux habitants d’un grand nombre de pays africains d’envoyer et de recevoir de l’argent, presque aussi facilement qu’un SMS. « Les bénéfices de cette innovation pour les populations ont été prouvés, observe Kosta ­Peric, directeur des services financiers pour les pays les plus pauvres à la Fondation Gates. Il faudrait maintenant accélérer le mouvement, avec l’objectif d’inclure ­financièrement encore 400 millions d’adultes africains, dont 60 % de femmes, à l’horizon 2030. »

Pour y parvenir, le rapport propose plusieurs axes de travail. Il préconise ainsi d’établir des plates-formes connectant entre eux les différents systèmes de paiement mobile – qui, trop souvent aujourd’hui, fonctionnent en silos – pour les raccorder ensuite au système bancaire. Un autre chantier vise à contourner la difficulté qu’ont souvent les gens les plus désargentés, et d’abord les femmes, à ouvrir un compte bancaire faute de posséder les documents requis pour prouver leur identité. Les experts de la Fondation suggèrent de leur fournir à la place une identification numérique, fondée par exemple sur les empreintes digitales ou l’iris de l’œil.

Le document insiste aussi sur la nécessité de faire évoluer la régulation. Et de tenter de l’harmoniser entre les 54 pays du continent. « Ils ne sont pas tous alignés sur qui peut faire quoi, rappelle Kosta Peric. Certains, comme le Kenya, permettent à des opérateurs télécoms d’offrir des services financiers. D’autres non. » In fine, l’inclusion financière dépendra également, dans chaque pays, des efforts d’expansion du réseau électrique et des politiques censées accroître le réseau Internet.

Pour tout mettre en musique, la fondation mentionne une série d’acteurs, de la Banque mondiale à la Banque africaine de développement, en passant par le laboratoire de recherche J-PAL ou l’université d’Oxford. « Pour que cela marche, il faudra aussi que les pays africains soient impliqués et prennent des engagements, notamment sur l’aspect de la régulation », estime Friederike Röder, directrice pour l’Europe de l’ONG One.

Celle-ci soutient l’esprit de l’initiative, rappelant qu’« aujourd’hui, 91 % des femmes ont un compte en banque en France, contre seu­lement 11 % au Niger ». Encore ­faudra-t-il voir à quel point les pays donateurs du G7 seront prêts à mettre au pot. Le montant des engagements devrait être ­dévoilé lors du sommet des chefs d’Etat qui se tiendra à Biarritz, du 24 au 26 août.