Vous l’avez peut-être remarqué ces derniers temps sur les réseaux sociaux : de nombreuses références à la zone 51 et des extraterrestres qui resurgissent à tout-va dans des blagues ou des mèmes fleurissent sur Instagram, Twitter ou encore Reddit. Tels les Jacques Pradel de l’Internet de 2019, les équipes de Pixels explorent et décryptent les origines du phénomène, né d’une blague sur Facebook pour envahir une base militaire américaine

C’est quoi, la zone 51 ?

Il s’agit d’une vaste étendue désertique au cœur du Nevada, où se trouvent plusieurs installations militaires américaines. L’endroit est devenu mondialement célèbre en 1947, après le crash d’un aéronef tout près de la ville de Roswell. Les débris, récupérés par des équipes de l’armée américaine, sont qualifiés par la presse locale de l’époque de « restes de soucoupe volante », donnant naissance à un mythe mondial.

Selon les variantes de l’histoire, l’armée américaine aurait capturé un alien qui se serait écrasé ; ou l’accident aurait été celui d’un aéronef construit par les militaires, mais inspiré de technologies extraterrestres. Divers témoignages plus ou moins fantaisistes viendront, au fil des ans, nourrir cette mythologie, qui s’enrichit encore dans les années 1990 après la publication d’une vidéo truquée présentée comme celle d’un extraterrestre capturé dans la zone.

L’armée américaine, elle, a toujours affirmé, photographies à l’appui, que l’ovni de Roswell était un simple ballon-sonde, comme ceux fréquemment déployés par l’armée dans la zone à l’époque. Mais les activités détaillées de la zone 51 sont couvertes par le secret-défense : c’est notamment là qu’ont été développés et testés les avions furtifs U-2 durant la guerre froide. Ce qui explique pourquoi l’existence de la zone 51 n’a été officiellement reconnue par le gouvernement américain qu’en 2013.

Quelles sont les origines du retour de la zone 51 ?

Le 27 juin, trois utilisateurs de Facebook créent un groupe baptisé « Storm Area 51, They Can’t Stop All of Us » (« prenons d’assaut la zone 51, ils ne pourront pas tous nous arrêter »). Le projet est simple : rassembler, le 20 septembre 2019, le plus de personnes possible sur le parking d’une boutique vendant des tee-shirts et des babioles au milieu du désert du Nevada. De là, les internautes entendent se lancer à l’assaut d’une zone militaire proche, en « courant comme Naruto » pour « aller voir ces extraterrestres ».

Depuis, les choses se sont emballées. Jeudi 18 juillet, 1,6 million d’utilisateurs de Facebook s’étaient déclarés prêts à participer à l’événement, tandis qu’un million de personnes supplémentaires étaient au moins « intéressées ». L’initiative a également été relayée sur d’autres réseaux sociaux, et notamment sur les sous-catégories « r/teenagers » et « r/dankmemes » de Reddit, très fréquentées par des adolescents. Et les références à la zone 51 se sont répandues comme une traînée de poudre.

« Prisonniers de la zone 51, bientôt libres après 70 ans d’attente » – photo légendée par un utilisateur de Reddit.

C’est sérieux, ce projet ?

Non, c’est une blague. Même le plus conspirationniste des ufologues aurait du mal à voir dans ce plan, qui consiste à « courir comme un personnage de manga pour éviter les balles » des militaires, autre chose qu’une vaste plaisanterie.

Si certains participants sont probablement persuadés que la base américaine cache de sombres secrets, et peut-être même les preuves d’une vie extraterrestre, l’idée d’une attaque n’est en revanche qu’une blague potache. Un message épinglé en haut de la page Facebook « Storm Area 51 » indique enfin que « ceci est une blague » : « Je n’ai pas vraiment l’intention d’exécuter ce plan. Je me disais juste que c’était marrant et que ça me vaudrait quelques “likes” ».

Pari gagné. Et les créateurs du groupe semblent maintenant prendre très au sérieux les potentielles retombées de ce qui est devenu un phénomène viral. « Storm Area 51 » a donc ouvert son magasin « officiel » de tee-shirts, vendus 20 dollars. Une démarche qui n’est pas sans rappeler une fière tradition locale : les villages les plus proches de la zone 51 vivent principalement, et depuis des années, du « tourisme alien » ; les rares hôtels des environs jouent à fond la carte des petits hommes verts, et des guides locaux proposent des excursions nocturnes pour aller observer les ovnis (sans garantie d’en voir).

Si, d’aventure, des amateurs d’ovnis un peu trop échauffés tentaient vraiment de pénétrer de force dans la zone 51, leurs chances de parvenir jusque-là sont plus que minces. Située en plein désert, difficile d’accès et desservie uniquement par la route 375, dite « autoroute des extraterrestres », la zone est sous surveillance permanente de l’armée américaine, qui a techniquement le droit d’ouvrir le feu sur d’éventuels intrus. Une porte-parole de l’armée de l’air américaine a d’ailleurs formellement déconseillé à quiconque, dans les colonnes du Washington Post, de tenter de pénétrer sur une base où des militaires américains ont l’habitude de s’entraîner.

Pourquoi un tel engouement sur Internet ?

Comme souvent avec les phénomènes viraux, c’est impossible à dire. Mais la sortie récente, aux Etats-Unis, d’un documentaire Netflix consacré à la zone 51 semble avoir provoqué un regain d’intérêt pour le lieu. Largement basé sur le témoignage de Bob Lazar, qui avait affirmé à la fin des années 1980 avoir travaillé sur des prototypes utilisant des technologies extraterrestres pour l’armée américaine, ce « documentaire » conspirationniste (dénoncé par des sites comme Conspiracy Watch) soutient sa version des faits. Ce témoignage de M. Lazar, datant de 1989, avait pourtant été totalement discrédité à la fois par les scientifiques, et par une enquête du Los Angeles Times qui montrait qu’il avait menti sur son parcours et ses études.

Quelle qu’ait été l’étincelle initiale, il n’est pas très étonnant que le gag ait rapidement trouvé un écho sur le net, tant il est dans l’air du temps. Il reprend les codes du « shitposting » (littéralement, « poster de la merde », c’est-à-dire pratiquer un humour volontairement régressif et souvent autodépréciatif) chers aux jeunes internautes, et ce n’est pas un hasard si le pseudonyme d’un des cocréateurs du groupe est « Shitposting cause im in shambles » (« je poste de la merde parce que ma vie est un désastre »).

Du conspirationnisme au troisième degré à l’opposition absurde car perdue d’avance entre une multitude de David (les jeunes fans de manga) et ce Goliath qu’est l’armée américaine, en passant par la formulation volontairement amusante du mot d’ordre (un « lets see them aliens » grammaticalement approximatif et totalement intraduisible) : tout est là pour en faire la farce geek parfaite.

Est-ce que c’est drôle ?

C’est en tout cas sous la forme de mèmes (des détournements d’images ou de vidéo populaires) amusés que l’opération se répand sur la toile. On y voit notamment des célébrités apporter soi-disant leur soutien au mouvement, à l’instar de ce faux message Donald Trump se réjouissant déjà de pouvoir expulser les « aliens » (terme qui désigne en anglais autant les extraterrestres que les migrants) qui s’y cachent.

D’autres mettent au point des plans absurdes, s’inspirant à l’occasion de films bollywoodiens ou des autres mèmes à la mode. Ou alors imagine déjà ce qu’ils trouveront sur place, qu’il s’agisse de matériel futuriste à voler ou d’innocents extraterrestres à délivrer.

Pourtant, le phénomène lasse déjà : sur Google, le sujet a atteint son pic de popularité samedi 13 juillet, et décroît depuis. Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs enjoignent leurs collègues à passer à autre chose. La ringardise pointe déjà : la preuve, la pop culture commence déjà à récupérer le phénomène. Et de nombreuses marques font référence au phénomène pour exister en ligne.

Au point que certains ne rient plus, et regrettent que, plutôt que d’organiser une fausse marche sur la zone 51, la jeunesse américaine ne se préoccupe pas plutôt de marcher sur Washington DC, pour protéger le système de santé ou protester contre la corruption.

Le gouvernement américain obsédé par les ovnis depuis 70 ans
Durée : 02:20