Editorial du « Monde ». Soixante-quinze ans après la conférence de Bretton Woods, où a été façonnée l’architecture du système financier international actuel, la question de l’appartenance géographique du prochain directeur général du Fonds monétaire international (FMI) se trouve de nouveau posée, avec, cette fois, un peu plus d’acuité. La titulaire sortante, Christine Lagarde, récemment nommée à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), a annoncé sa démission du Fonds pour le 12 septembre.

Traditionnellement, les deux grandes institutions financières issues de Bretton Woods, la Banque mondiale et le FMI, ont été dirigées la première par un Américain, la seconde par un Européen (cinq Français ont occupé ce poste). Un peu plus tard, en 1966, la Banque asiatique de développement a été créée ; depuis, elle est, immuablement, dirigée par un Japonais.

Les Occidentaux peuvent-ils continuer à s’arc-bouter ainsi sur une tradition héritée du XXe siècle, alors que le monde subit des transformations fondamentales ? David Lipton, actuel numéro deux du FMI, a lui-même rappelé dans un discours prononcé, mardi 16 juillet, à la Banque de France, que le Fonds comptait aujourd’hui 189 Etats membres, quand seuls 44 Etats étaient représentés à Bretton Woods. Mais, surtout, a-t-il souligné en tentant d’anticiper le monde des soixante-quinze prochaines années, le FMI doit faire face à trois défis essentiels : le déplacement du centre de gravité de la puissance économique et financière, que les Etats-Unis partagent désormais avec la Chine ; l’impact des nouvelles technologies sur l’économie et notamment sur la finance ; et les menaces qui pèsent sur le multilatéralisme, fondement des institutions de Bretton Woods.

L’ascension de la Chine

La nomination du successeur de Mme Lagarde se situe directement dans le contexte du premier défi cité par M. Lipton, celui de l’ascension de la Chine et des revendications des pays émergents. Pour être apte à répondre aux deux autres défis, le FMI doit pouvoir s’adapter au premier. A la veille de la réunion du G7 des finances, mercredi et jeudi à Chantilly (Oise), où la question du futur patron du FMI devait être évoquée de manière informelle, le ministre français de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a déjà fait savoir que, à ses yeux, le FMI devait continuer à être dirigé par un membre de l’Union européenne – précision qui a sans doute l’avantage d’écarter d’office la candidature spontanée de George Osborne, l’ancien chancelier de l’Echiquier britannique, soutien du champion du Brexit, Boris Johnson. Ceux qui font circuler le nom du Canadien Mark Carney, actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre, s’empressent de souligner qu’il a aussi la nationalité irlandaise.

Ce changement à la tête du Fonds est pourtant l’occasion de prendre en compte, enfin, les réalités du XXIsiècle. Plutôt que d’exiger obstinément une continuité de nationalité que l’histoire n’impose plus, les Européens seraient mieux inspirés de se concentrer sur la mission du Fonds. Qu’ils s’attachent à identifier la personne la plus qualifiée et la plus à même de défendre le multilatéralisme, la coopération et l’ouverture économiques – autrement dit la personne la plus proche des idées qu’ils soutiennent – et qu’elle soit singapourienne, indienne, irlandaise ou française, ils auront renforcé leur légitimité. Refonder Bretton Woods passe par la réforme de la gouvernance du FMI pour mieux y intégrer les pays en pleine ascension. Et ainsi priver la Chine d’un prétexte pour édifier un système parallèle.