C’est une tragédie qui vient de meurtrir la communauté du cinéma d’animation. L’incendie qui a touché le studio Kyoto Animation, jeudi 18 juillet, met en péril l’un des studios indépendants les plus prometteurs du cinéma japonais. Le feu a ravagé une partie des locaux consacrés à la production artistique, et tué au moins 33 personnes.

Depuis sa création, au début des années 1980, Kyoto Animation s’est imposé petit à petit dans la production de films, avec des méthodes assez originales, pour devenir la locomotive de l’animation dans sa région, le Kansai, mais aussi au niveau national. Il jouit d’une solide réputation, avec pourtant une équipe de 160 salariés plus modeste que des mastodontes du secteur.

« Au Japon, c’est un des studios qui comptent », assure Mickaël Marin, directeur du Festival international du film d’animation d’Annecy. Dans de précédentes éditions, le festival avait programmé A silent voice et Liz et l’oiseau bleu, deux films sortis des studios « KyoAni », selon l’abréviation affectueuse donnée dans le milieu de l’anime.

Bande annonce du film : Liz et l'oiseau bleu
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Un studio essentiellement féminin

« C’est une équipe d’autant plus remarquable qu’elle a été fondée par une femme, fait encore assez rare, tant au Japon que sur le plan international », ajoute M. Marin. L’histoire de Kyoto Animation est intimement liée à celle de Yoko Hatta, une peintre qui travaillait pour Mushi Production, un studio créé par Osamu Tezuka, le Walt Disney du manga et père d’Astro Boy.

Après son mariage, Yoko Hatta part s’installer dans la préfecture de Kyoto. Pour tuer le temps, elle se rapproche d’autres femmes au foyer et forme une petite équipe de sous-traitantes, qui peignent sur celluloïds pour les besoins en dessins animés de studios, tels que les productions Pierrot, comme le raconte le blog anglophone Sakuga. Les quatre pionnières se font la main sur quelques épisodes du populaire Urusei Yatsura, la série dérivée du manga de Rumiko Takahashi, mettant en scène la romance gaguesque entre un adolescent et Lamu, une extraterrestre.

Quelques années plus tard, en 1985, Yoko Hatta décide de fonder l’entreprise Kyoto Animation et de s’établir de façon plus professionnelle. Tandis qu’elle conserve l’entière maîtrise des décisions artistiques et logistiques, elle confie à son mari, Hideaki Hatta, les rênes de la présidence. Un modus operandi qui ne changera guère par la suite.

Matthieu Pinon, journaliste et coauteur avec Philippe Bunel du livre Un siècle d’animation japonaise (Ynnis, 2017), a visité les équipes de Kyoto Animation en mars 2017. Il confirme : « Le studio est resté très féminisé. Entre 70 % et 80 % des salariés sont des femmes. Une particularité assez rare, et, il me semble, seulement partagée par le studio 4°C. » Le journaliste parle également d’« un fonctionnement avec une hiérarchie un peu moins verticale que de coutume, prenant en compte à plusieurs occasions l’avis de ses salariés et collaborateurs ».

Un registre sentimental et charmant

Le blog Sakuga vante aussi un studio avec « un fort désir d’indépendance, d’être réellement responsable des animes qu’ils font et de piloter toutes les décisions ». Une posture relativement inhabituelle pour l’industrie culturelle de l’archipel.

Un travail raffiné et livré dans de bons délais a permis au jeune studio de gagner la confiance de plus en plus de clients. Ce qui convainc la direction de délaisser la sous-traitance au début des années 2000. L’équipe d’une soixantaine de personnes s’attelle alors à ses propres productions : des films, des séries et des téléfilms animés.

En 2006, KyoAni se distingue avec deux séries télé : La Mélancolie de Haruhi Suzumiya, l’histoire d’une lycéenne extravagante qui se passionne pour le paranormal ; et Kanon, le récit romantique d’un adolescent qui retourne dans sa ville d’enfance. Suivront ensuite les succès critiques de K-On ! (2010) ou encore Tamako Market (2013), des titres qui s’apparentent tous au registre « Moe », un terme d’argot qui fait référence aux sentiments d’affection et d’adoration. Ce style se caractérise par des personnages féminins charmants et adorables, et du bon sentiment poussé à l’extrême – dont certains dénoncent les dérives fétichistes.

La mélancholie de Haruhi Suzumiya - Trailer
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Pour nourrir ses créations originales, le studio possède par ailleurs KA Esuma Bunko, une maison d’édition de romans jeunes adultes, des « light novels », source quasi inépuisable de scénarios.

Virtuoses de la lumière

Récemment, les studios kyotoïtes se sont illustrés avec l’adaptation en film du manga A Silent Voice (2016) qui aborde la question du harcèlement et du handicap. Son succès critique et dans les salles – y compris étrangères – a permis à sa réalisatrice, Naoko Yamada, qui fait ses armes chez KyoAni et dirigé nombre de ses hits, de grimper sur la liste des cinéastes d’animations à surveiller de près.

« Sur le plan technique, ils se sont beaucoup distingués pour le travail de la lumière, détaille le journaliste Matthieu Pinon. Le studio est également très performant sur l’animation des musiciens, qui peut être dans certains films ou séries catastrophiques. Chez eux, on peut presque reconnaître les accords joués sur le manche d’une guitare. »

京都アニメーション大賞受賞作品、待望のアニメ化『ヴァイオレット・エヴァーガーデン』本予告編
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Des marques de fabrique et des thèmes récurrents (récits de collégiens, bluettes musicales, jeunes filles émouvantes) chez Kyoto Animation qui peuvent donner à ses détracteurs un sentiment de répétition, là où les soutiens y voient « une équipe qui fait seulement les œuvres qui lui plaisent ». En 2018, le studio se renouvelle et s’ouvre définitivement à l’international avec la série Violet Evergarden, dont les droits de diffusion en streaming sont acquis par Netflix, et qui s’avère être une formidable carte de visite pour le studio.

Ces derniers mois, l’équipe travaillait d’ailleurs à la réalisation d’un film animé éponyme. Sa sortie, prévue pour janvier 2020 selon son site Internet, est aujourd’hui compromise par l’incendie qui a ravagé le studio.