Comme prévu, les favoris n’ont pas déclenché la grande bagarre dans les premiers cols pyrénéens, à la veille d’un contre-la-montre crucial. Le Britannique Simon Yates, issu d’un groupe de 40 échappés, s’impose dans un sprint à trois à Bagnères-de-Bigorre. Et Rohan Dennis a disparu.

Rohan Dennis (à droite), le 5 juillet à Bruxelles. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Veillée d’armes chez Bahreïn-Merida, la riche équipe de Vincenzo Nibali. Au départ de Toulouse, on pense déjà au contre-la-montre de Pau, vingt-quatre heures plus tard. L’équipe aligne le champion du monde de la discipline, l’Australien Rohan Dennis. « On attend donc de lui qu’il soit dans le haut du classement et il se donnera à 100 %, évidemment, dit Gorazd Stangelj, directeur sportif de l’équipe bahreïnie, devant son car rutilant. Mais rien n’est sûr. » A quelques mètres de là, voilà le même Rohan Dennis, furibard. Un journaliste australien, qui le connaît, l’approchera pour lui demander un mot au sujet du futur contre-la-montre. Requête refusée sans un regard. Tension dans l’air.

Au départ de Toulouse, l’éphémère maillot jaune du Tour de France 2015 tente plusieurs fois de prendre la bonne échappée du jour, sans réussite. Au ravitaillement de Cierp-Gaud, kilomètre 93, Rohan Dennis, dans le peloton, se déporte sur le côté droit de la route et s’arrête. Il monte dans la voiture d’un assistant qui le ramène à Bagnères-de-Bigorre et quitte ainsi le Tour de France.

Son équipe ne trouve rien à inventer. Elle ne sait pas ce qui s’est passé et son message, sur Twitter, ne fait qu’épaissir le mystère : « Notre priorité est le bien-être de tous nos coureurs et nous allons immédiatement lancer une enquête. »

« Nous ne savons rien »

A Bagnères, le vélo de Dennis est posé sans surveillance contre le car où l’Australien s’est réfugié. Il en émerge plus tard accompagné par son agent et l’attaché de presse de l’équipe. Les trois, d’un pas pressé, refusent de dire un mot. Au dos du t-shirt du coureur, la devise marketing de la Bahreïn-Merida : « Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de nous. »

Gorazd Stangelj, directeur sportif de l’équipe, répondra après l’étape à une nuée de journalistes. Répondre est une formule.

« Nous ne savons rien. Nous avons essayé de lui parler. Nous nous sommes arrêtés et nous avons essayé de trouver une solution. Il a dit “je ne veux pas parler”, et a abandonné. (…) Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas physique. »

La presse spécialisée croit savoir que Rohan Dennis ne serait pas satisfait de son vélo de contre-la-montre, lui qui disposait d’un matériel de pointe l’an passé, chez BMC, est n’a pas retrouvé son niveau dans cet exercice cette année. Stangelj passe à la question. A-t-il pesté contre son matériel ?

« Disons que c’est un gars qui veut que tout soit parfait. Et ce n’est pas facile de faire en sorte que tout soit parfait sur une course. »

Et sinon, il est comment, ce Rohan Dennis ?

« C’est un type spécial. Comme tous les champions. Quand il veut quelque chose, il est déterminé, et ce n’est pas facile de satisfaire tout le monde en permanence. »

Une équipe coupée en deux

On n’a pas mémoire d’abandon de la sorte dans le Tour de France, où le moindre incident dans une équipe, qui passerait tout à fait inaperçu sur une course mineure, est décortiqué par tous les médias de la planète cyclisme. On pourra voir dans le geste de Rohan Dennis une forme de panache, façon « j’entre dans le bureau du patron en maillot de bain et je lui annonce que je me barre » ; ou une nouvelle preuve de l’impulsivité du coureur australien, réputé pour ses sautes d’humeur.

En 2014, alors jeune espoir du contre-la-montre, Dennis avait quitté sa première équipe, la Garmin-Sharp, pour rejoindre la BMC en milieu de saison, chose rarissime. Les deux équipes avaient dû obtenir une dérogation de l’UCI. « Plutôt que de repousser l’inévitable, nous avons trouvé une solution optimale pour Rohan et les deux équipes », avait commenté le manager de Garmin, Jonathan Vaughters.

Elle ne devrait, quoi qu’il en soit, pas améliorer l’ambiance au sein d’une équipe où le clan de Vincenzo Nibali vit à part, loin des Slovènes – coureurs, directeurs sportifs, mécaniciens et kinés – recrutés par le patron officieux de l’équipe, le Slovène Milan Erzen. Ce dernier, officiellement absent de l’organigramme, est l’intermédiaire entre le prince bahreïni Nasser ben Hamed Al-Khalifa, qui finance l’équipe, et la direction sportive. Au mois de mai, Le Monde révélait que son nom apparaissait dans une enquête sur une affaire de dopage, toujours en cours. Depuis, Milan Erzen est pourtant venu au départ du Tour à Bruxelles et devrait repasser sur la course. Entre-temps, le cas Dennis s’est ajouté en haut de la pile des soucis de l’équipe bahreïnie, en pleine restructuration en vue de la saison prochaine.

En quittant Bagnères-de-Bigorre, le car de la Bahreïn-Merida a été éraflé par une voiture de la Jumbo-Visma, y laissant un peu de peinture rouge. Quand ça veut pas…

Le Tour du comptoir : Toulouse

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Ceci n’est pas un ancien triathlète professionnel.

Où l’on croise un ancien cycliste professionnel, mais qui sait aussi nager et courir.

Mollets sculptés, silhouette affûtée, « Shimano » écrit sur le polo, vélo de course posé le long de la vitrine, casque pendu au guidon : aucun doute, le monsieur d’une quarantaine d’années qui vient de prendre place au Troquet Garonne, après avoir demandé au serveur le code wi-fi (« ze oui-faï ? », s’est exclamé le serveur), est un ancien cycliste professionnel. « Non, je suis un ancien triathlète professionnel. » Pardon, mais c’est rigoureusement la même chose, pour peu que l’on fasse abstraction de l’aspect natation et de l’aspect course à pied.

Dany Evens est sans doute l’un des seuls anciens triathlètes au monde à afficher cinq Tours de France au compteur. Aucune victoire d’étape, cela dit, ce qui nous fait un point commun. Aucun départ d’étape non plus, d’ailleurs : ses cinq Tours ont été effectués au sein de la caravane, pour la marque de matériel de vélo Shimano (qui fait aussi des cannes à pêche, sachez-le). Son boulot consiste à dépanner les équipes qui feraient soudain face à une pénurie de dérailleurs ou de manettes de changement de vitesse.

Ceci est un ancien triathlète professionnel.

Avant de revenir chaque été pour le Tour, cet Australien n’était venu qu’une fois en France, à Carcassonne et dans de petits villages de l’Aude. « C’est en revenant avec le Tour et en allant dans toutes les grandes villes que je me suis aperçu que Carcassonne n’était pas une si grande ville que ça. Le Tour est un super moyen de découvrir la France. » A qui le dis-tu. Voilà un bon moment que l’on milite pour rendre obligatoire le Tour de France à tous les citoyens de 18 ans, on n’a pas trouvé mieux pour comprendre un peu ce pays, et en tomber amoureux.

Malgré cinq Tours de France et son statut d’ancien pro, Dany Evens confesse qu’il ne connaît pas Vincent Luis, meilleur triathlète tricolore actuel. Lui faisait partie du Top 10 en Australie, mais n’a jamais participé aux Jeux olympiques. Sa carrière a pris fin malgré lui en 2006. Alors qu’il était revenu de Californie pour passer quelques jours en Australie, et qu’il avait enfourché son vélo pour aller retrouver sa copine qu’il venait à peine de rencontrer, « a car hit me, and sent me directly into a hydrant », explique notre triathlète à la retraite, me permettant ainsi d’apprendre à dire « bouche d’incendie » en anglais, et de comprendre l’origine de cette énorme cicatrice au genou gauche.

Je n’ai pas osé prendre la cicatrice en photo. Et j’ai oublié de demander si la copine de l’époque l’était toujours.

A côté du Troquet Garonne se trouvent un magasin de cycles qui s’appelle Vélouse...

... et une école qui s’appelle Maurice Bécanne.