Jean-Paul Delevoye arrive à Matignon, le 18 juillet. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Editorial du « Monde ». Emmanuel Macron est un adepte du chamboule-tout. Il l’avait montré, dès son élection, en remaniant en profondeur le code du travail. Il récidive en s’attaquant à un dossier susceptible, comme le disait Michel Rocard, de faire tomber plusieurs gouvernements. Plutôt que de procéder seulement, comme lors des précédentes réformes de 1993, de 2003 ou de 2010, à des ajustements sur l’âge légal de départ ou sur la durée requise pour une retraite à taux plein, le président de la République a engagé une réforme systémique de grande ampleur. C’est le premier big bang des retraites depuis le Livre blanc de 1991, qui avait posé alors un diagnostic dont la justesse ne se dément pas.

En agissant ainsi, M. Macron ne prend personne en traître. Il applique ses promesses de campagne, en se gardant de remettre en cause le système de répartition – où les cotisations des travailleurs financent les pensions des retraités. Le système universel qui va entrer en vigueur en 2025 et a vocation à remplacer les 42 régimes existants va refonder l’assurance-vieillesse. On ne raisonnera plus en trimestres ou en annuités à accumuler pour bénéficier d’une retraite à taux plein, mais en points, comme cela existait déjà pour les régimes de retraite complémentaire. Cependant, sachant qu’il ouvre un champ de mines, notamment en programmant la fin des régimes spéciaux sur laquelle tous les gouvernements ont jusque-là reculé, le président de la République avance avec beaucoup de prudence pour éviter une forte contestation sociale. Déjà FO et la CGT ont annoncé, même si elles peinent à mobiliser, des manifestations les 21 et 24 septembre.

Une nouvelle « phase d’écoute »

Comme s’il voulait faire oublier l’épisode malencontreux de la réforme de l’assurance-chômage, où la brutalité des mesures a suscité la colère de tous les syndicats, une semaine après avoir proclamé, le 11 juin, devant l’Organisation internationale du travail, son attachement à la justice sociale, M. Macron a montré une volonté de renouer le dialogue avec les syndicats. Il a donné satisfaction à Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire qui pilote le dossier, en renonçant à présenter des mesures paramétriques dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 afin de réaliser des économies. Cette mesure aurait été perçue comme une déclaration de guerre par la CFDT, seul syndicat à plébisciter une réforme systémique. Sa décision de ne pas supprimer 50 000 postes de fonctionnaires d’Etat est aussi un geste en direction des syndicats. Et la qualité de la concertation de dix-huit mois menée par M. Delevoye a été unanimement louée. Elle va être suivie par une nouvelle « phase d’écoute » avant l’élaboration du projet de loi.

Les recommandations de M. Delevoye ne sont donc pas l’étape finale. Elles contiennent des points positifs, au niveau des intentions, par exemple sur l’harmonisation des pensions de réversion ou la réduction des inégalités. Mais avec la modification du mode de calcul – les pensions n’étant plus calculées sur les 25 meilleures années pour les salariés et les six derniers mois pour les agents du public, mais tout au long de la carrière – il y aura des perdants. Et il y a une certaine hypocrisie à ne pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite, maintenu à 62 ans, tout en incitant, une décote aidant, à travailler jusqu’à 64 ans pour avoir droit à une retraite à taux plein. Le big bang nécessite encore des clarifications.