PHILIPPE HUGUEN / AFP

Une fois n’est pas coutume, en adoptant le projet de loi relatif à l’énergie et au climat en première lecture jeudi 18 juillet, les sénateurs se sont montrés plus soucieux d’écologie que les députés.

Ce texte, présenté à l’origine comme « une petite loi », s’est considérablement enrichi au fil des amendements, jusqu’à contenir plus de 55 articles, allant de la réduction programmée de la part du nucléaire à la fin prochaine des dernières centrales au charbon. Un morceau de taille pour Elisabeth Borne, tout juste désignée ministre de la transition écologique et solidaire, qui a couru de la passation de pouvoir avec son prédécesseur François de Rugy jusqu’à l’hémicycle.

Logements classés F et G

Les sénateurs ont surpris en adoptant, dans la nuit du 17 au 18 juillet, une disposition plutôt radicale, contre l’avis du gouvernement et de la commission des affaires économiques, sur le sujet sensible de la rénovation des logements. Ils ont choisi d’interdire à la location, en les considérant comme indécentes, les « passoires thermiques », c’est-à-dire des logements classés F et G dans l’échelle du diagnostic de performance énergétique. Cette mesure prendra effet à compter de 2023. L’enjeu est de taille : on estime à 7,2 millions le nombre de ces logements énergivores, dont 3,1 millions sont loués par des bailleurs privés, soit 43 % du parc locatif privé.

Les locataires en place dans de tels logements pourront en réclamer la mise aux normes – alors que les députés avaient repoussé à 2028 l’obligation pour les propriétaires d’avoir réalisé des travaux. Cette disposition, conforme à la promesse du candidat Emmanuel Macron, a été adoptée à une très courte majorité grâce à des amendements de sénateurs communistes, centristes et indépendants. Elisabeth Borne a tenté de contrer ce vote, qui « vient brouiller les lignes des critères de décence ». « De nombreux logements du bâti haussmannien non rénovés sont énergivores, ce qui est regrettable, mais ne sont pas indécents pour autant », a-t-elle argumenté.

Le gouvernement a tout de même réussi à atténuer la portée de cette interdiction en exemptant de cette obligation les logements en copropriété – soit 73 % des logements énergivores. Mais le bailleur devra démontrer avoir fait des travaux dans les parties privatives et avoir sollicité en vain la copropriété pour qu’elle engage la rénovation des parties communes (façades, toitures et chaudière collective).

Les sénateurs ont aussi confirmé qu’à compter de 2028, dans les zones tendues, les bailleurs ne pourront plus augmenter les loyers de ces passoires thermiques. « Ce sont des avancés très intéressantes, commente Manuel Domergue de la fondation Abbé Pierre, mais il n’est pas sûr qu’elles passeront le cap de la commission mixte paritaire » qui doit accorder les textes entre sénateurs et députés, le 25 juillet.

Alors que les citoyens s’inquiètent toujours davantage du dérèglement climatique, les sénateurs ont également voté l’article phare du texte, celui qui inscrit pour la première fois dans la loi la référence à « l’urgence écologique et climatique ». Il grave aussi dans le marbre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, qui suppose de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le pays ne peut en absorber par ses puits de carbone naturels (forêts, zones humides, etc.) ou par des techniques de séquestration.

Atteindre 33 % d’énergies renouvelables

Pour atteindre ce but, aligné avec l’accord de Paris, la France devra diviser ses émissions par « au moins » six par rapport à 1990. La part des énergies fossiles dans la production d’énergie primaire devra diminuer de 40 % en 2030, davantage que les 30 % prévus par la loi de transition énergétique de 2015. Les énergies renouvelables devront atteindre 33 % en 2030.

Malgré l’opposition du gouvernement, les sénateurs ont validé des objectifs supplémentaires déclinés par filière : au moins 27,5 GW d’hydroélectricité en 2028, dont un quart issu de la « petite hydroélectricité », au moins 1 GW supplémentaire chaque année d’éolien en mer jusqu’en 2024, et 8 % de biogaz en 2028.

Tous les cinq ans, une loi fixera les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie, la feuille de route du pays en matière énergétique, qui est aujourd’hui arrêtée par décret. Suite à une offensive de sénateurs de gauche et du centre, contre l’avis du gouvernement, cette loi inclura également les budgets carbone – plafonds d’émissions à ne pas dépasser – qui relèvent aujourd’hui du pouvoir réglementaire, ce qui les rendra plus contraignants.

« Le Sénat opère une transformation culturelle, notamment en actant que le nucléaire n’est plus un signal unique de la production énergétique », se félicite Anne Bringault, responsable de la transition énergétique au Réseau action climat. Elle regrette en revanche que les sénateurs « ne soient pas parvenus à débattre de l’atome, qui est un sujet tabou ». Ils ont entériné le report de 2025 à 2035 de l’objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % (contre environ 75 % aujourd’hui), corrigeant ainsi la loi de 2015. L’exécutif a prévu de mettre à l’arrêt 14 des 58 réacteurs du parc nucléaire hexagonal d’ici à quinze ans.

Pour préciser ce grand chantier, la Chambre haute a adopté une feuille de route sur les opérations de démantèlement des installations nucléaires, mais s’est opposée à un état des lieux des salariés qui nécessiteront une reconversion. Examiné en procédure accélérée, le texte sera définitivement voté par le Parlement à la rentrée.