Les proches de Steve Canico, samedi 20 juillet à Nantes. / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Dix lettres noires se détachant sur fond blanc, trois mots simples déployant un même cri de détresse et de colère : « Où est Steve ? » Pas une place ou presque de la ville de Nantes (Loire-Atlantique) qui ne soit tapissée d’une affiche relayant cet appel, lequel se démultiplie sur les réseaux sociaux et gagne désormais l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

« Où est Steve ? » : c’est le message inlassablement repris par les quelque 700 personnes assemblées Quai Wilson, samedi 20 juillet, sur les lieux même où Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, a été vu pour la dernière fois la nuit de la Fête de la musique. Le jeune homme participait à une soirée techno qui a été dispersée par les policiers le 22 juin, peu après 4 heures du matin – heure convenue initialement pour couper le son. Ces derniers ont notamment fait usage de grenades lacrymogènes, de grenades de désencerclement et de lanceurs de balle de défense semant la confusion, puis la panique, sur le quai dépourvu de parapet. Une quinzaine de personnes ont chuté dans la Loire. Steve Maia Caniço, qui ne savait pas nager, n’a plus donné signe de vie depuis lors.

« Un ordre aberrant »

L’intervention des forces de l’ordre a suscité la controverse jusque dans les rangs de la police. Le syndicat Unité SGP Police, par la voix de Philippe Boussion, secrétaire régional, a pointé « la responsabilité » du commissaire en charge du commandement de l’opération, l’accusant d’avoir « commis une faute grave de discernement » en donnant à ses troupes « un ordre aberrant ». « On n’intervient pas à 4 h 30 du matin avec 20 policiers au milieu d’un millier de personnes potentiellement alcoolisées pour une opération à la finalité très relative », a réaffirmé au Monde M. Boussion, vendredi 19 juillet. « Les policiers engagés sur la zone ont été victimes de violences, accueillis par une pluie de projectiles, rétorque un haut fonctionnaire. Dès lors, le commandant de la force publique présent sur les lieux a un droit de riposte immédiat. »

Les proches du disparu décrivent un jeune homme « ouvert d’esprit, fan de cinéma et de Marvel (héros de « comics » américains), aimant les gens et n’allant jamais à la confrontation physique ». « Sa vie, c’était sa famille, ses potes, la musique, énonce Anaïs, l’une de ses meilleures amies. Il adorait partager ses coups de cœur. Dès qu’un truc le touchait, on recevait un message ou il appelait. »

« Depuis 29 jours, nous attendons des réponses, nous demandons que justice soit faite », expose Aliyah, autre amie de Steve. Un porte-voix à la main face à la foule du quai Wilson, la jeune femme estime que « l’absence de Steve est le résultat de trop de violences, de trop de répressions » et promet : « Nous ne lâcherons rien ».

« La justice va à deux vitesses »

Quelques minutes plus tard, le rassemblement se fait solennel. Deux longues chaînes humaines font face à la Loire, une minute de silence est observée. Des larmes envahissent des visages. « On a l’impression que la justice va à deux vitesses, lâche Alexane, 24 ans, autre camarade du disparu. Si c’était un CRS qui était tombé à l’eau, tous les moyens auraient été mis en œuvre pour le retrouver en un temps record. Et les participants de la fête auraient immédiatement été mis en accusation. » La jeune femme, livreuse de profession, indique avoir parlé à son ami à 3 h 30, juste avant qu’elle ne quitte les lieux. « Il était fatigué, mais il n’était pas ivre, ça j’en suis sûre. Il pouvait se poser n’importe où et s’endormir en une seconde ! »

Les proches de Steve ne se bercent pas d’illusion quant à l’issue tragique qui se dessine. Faut se faire une raison, ne serait-ce que pour notre mental, dit Alexane. On sait qu’il ne reviendra pas ».

Deux chaînes humaines ont été formées face à la Loire, samedi 20 juillet, pour demander « Où est Steve ? » / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Macron réagit

Au total, cinq procédures sont en cours suite à cette disparition. L’avocate Marianne Rostan a déposé le 3 juillet, au nom de 89 personnes présentes à la soirée techno, une plainte contre X pour « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Cette plainte collective a conduit Pierre Sennès, procureur de la République de Nantes, à saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). La police des polices avait déjà été sollicitée, sur le plan administratif, par le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, le 24 juin.

Les enquêteurs de la Police judiciaire de Rennes, saisis par une juge d’instruction nantaise, mènent également des investigations pour rechercher les causes de la disparition de Steve Maia Caniço. Le Défenseur des droits s’est aussi emparé de l’affaire. M. Sennès a également annoncé qu’une plainte a été déposée par 10 policiers pour « violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique ».

Jeudi 18 juillet, Johanna Rolland, maire PS de Nantes, a remis la pression sur l’Etat en dressant un courrier à M. Castaner. L’élue exige que « des réponses précises et publiques » soient apportées « sans délai » aux questions entourant l’opération policière du quai Wilson, au cours de laquelle, juge-t-elle, « il a été fait un usage de la force qui apparaît disproportionné. »

Interpellé sur le sujet alors qu’il était en déplacement à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) ce samedi, Emmanuel Macron s’est dit « très préoccupé par la situation », et a conclu sur la nécessité de voir « l’enquête conduite jusqu’à son terme ».