Fantine Lesaffre après son titre sur le 200 m nage libre aux championnats de France, à Rennes, le 21 avril. / DAMIEN MEYER / AFP

Le plus compliqué pour Fantine Lesaffre aura été de se faire un prénom. Le comble quand on en porte un aussi identifiable, tiré des Misérables. Dans le roman de Victor Hugo, de la mère de Cosette, on ignore tout de son enfance, on ne lui connaît d’ailleurs pas de patronyme. Elle, le sien a toujours été associé à la natation française. Trois générations de la famille Lesaffre s’y sont illustrées : les grands-parents, Lucien et Danielle, étaient des figures du club de Roubaix, la grand-mère a même donné son nom à la piscine de la ville. Patrice, le père de Fantine, a nagé en équipe de France et Bruno, son oncle, participé aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.

« J’ai souvent été “la fille de Patrice”, la “nièce de Bruno”, il fallait que je fasse ma place, résume la benjamine du clan, large sourire et démarche spontanée, loin de certaines ex-stars de l’équipe de France. Je pense que maintenant, c’est réussi. » La jeune femme de 24 ans – engagée aux championnats du monde de Gwangju (Corée du Sud) à partir de dimanche 21 juillet – est apparue dans les radars médiatiques à l’été 2018, lors des championnats d’Europe de Glasgow, sacrée sur le 400 m 4 nages en établissant un nouveau record de France (4’17), jusque-là détenu par Camille Muffat.

Depuis, la piscine où elle a fait ses premières brasses a été rebaptisée « piscine Danielle et Fantine Lesaffre ». Et la natation française s’est trouvé un nouveau visage, elle, qui, en attendant le retour de Florent Manaudou, a bien du mal à retrouver l’élite internationale et ne peut compter, en individuel, que sur les exploits de Mehdy Metella et Charlotte Bonnet. Mais Lesaffre ne se sent pas pour autant l’âme d’une leadeur : « Ce n’est pas du tout mon truc, je suis plus discrète et timide. Quand j’arrive sur un bord de bassin, on me dit toujours que je suis un peu hautaine parce que j’ai le visage fermé et que je suis concentrée. Mais c’est une fausse image, il faut juste apprendre à me connaître. Dans l’intimité, je suis fofolle et joyeuse. »

Syndrome de l’imposteuse

Si les garçons de l’équipe de France ont longtemps ramené la plus grosse moisson de médailles, la balance s’est aujourd’hui inversée. Même si le processus de reconstruction n’a pas toujours été bien vécu. « Quand toutes les grandes nageuses [françaises] ont arrêté leur carrière, on s’est retrouvé une équipe féminine très jeune et tout le monde s’est un peu acharné sur nous, rappelle Lesaffre. On nous a toujours comparées aux plus vieilles sans nous laisser digérer l’héritage des Manaudou, Balmy… A l’époque, je n’étais pas très forte en équipe de France, donc je ne le prenais pas pour moi mais ça faisait de la peine. »

Si son père l’a jetée à l’eau vers 3 ans, la Nordiste n’a commencé la natation que tardivement, vers 14 ans, après avoir privilégié l’athlétisme. D’abord avec la brasse, qui reste aujourd’hui son point fort, avant de se tourner vers le quatre nages, estimant ne pas avoir la caisse pour le sprint. La nageuse longiligne (1,80 m, 56 kg) est très vite étiquetée espoir de la discipline, mais mettra du temps à confirmer sur la scène européenne, paralysée par le syndrome de l’imposteuse.

« En championnats de France, je savais que je valais tous mes podiums. En arrivant en séries, je n’avais pas beaucoup d’efforts à faire pour rentrer en finale et idem en finale, pour monter sur le podium. Quand j’arrivais en compétition internationale, savoir que j’étais à côté des Katinka Hosszu, Mireia Belmonte Garcia, etc., c’était plus compliqué à gérer, explique-t-elle. Je me disais qu’en fait je n’avais pas vraiment le niveau pour être là. Comme dans la tête ça n’allait pas, le corps ne suivait pas. Le déclic que j’ai eu l’an passé a tout changé. »

Dans la foulée de Glasgow, elle confirme en décembre par une médaille de bronze aux championnats du monde en petit bassin, à Hangzhou (Chine), sur le 400 m 4 nages, derrière l’intouchable Katinka Hosszu. La « Dame de fer » hongroise, habituée à prendre une quinzaine de départs à chaque grand rendez-vous, évolue selon elle dans une autre sphère. « J’admire aussi l’Américaine Katie Ledecky », ajoute Lesaffre – à l’âge où la Française commençait la compétition, l’Américaine allait déjà chercher sa première médaille olympique à Londres. Mais depuis Glasgow et Hangzhou, Fantine Lesaffre a gagné le respect de ses rivales et ne fuit plus leur regard en chambre d’appel.

La médaille à Tokyo

Plus relâchée dans les bassins, Fantine Lesaffre s’est aussi stabilisée en dehors. Après avoir fait le tour des piscines de l’Hexagone (elle a changé quatre fois de structure en quatre ans), elle évolue depuis septembre à Antibes (Alpes-Maritimes), où elle dit avoir enfin trouvé son port d’attache. Elle s’y entraîne sous les ordres de Franck Esposito, médaillé de bronze sur 200 m papillon aux JO de Barcelone, en 1992.

Cela tombe bien, le papillon reste la nage qui lui résiste le plus. « J’ai eu des périodes très compliquées quand j’étais à Mulhouse ou Rennes car je m’entraînais dur et les résultats ne suivaient pas. Maintenant que ça suit, je n’ai plus vraiment de période de mou, je reste motivée parce que j’ai des objectifs de plus en plus élevés. » La paire vise un podium aux Jeux l’an prochain mais voit encore plus loin : « Je suis focalisée entièrement sur Tokyo mais j’ai Paris [2024] dans un coin de la tête. Pour moi ce ne sera pas la fin de ma carrière en 2020. »

Avant cela, il y a Gwangju et deux occasions de confirmer son nouveau statut sur le quatre nages. D’abord dimanche sur le 200 m puis, une semaine plus tard, sur le 400 en clôture des championnats du monde.

« Je pense qu’on va m’attendre sur cette distance étant donné que j’ai fait un podium en petit bain. Mais avec l’expérience, j’arrive à rester concentrée sur moi, je vais juste faire ce que je sais faire. » Et pourquoi pas passer de l’imposteuse à la braqueuse.