Une œuvre de street art sur un mur de Nantes, le 15 juillet. / LOIC VENANCE / AFP

« Où est Steve ? » Un mois après la disparition de Steve Maia Caniço lors de la Fête de la musique, cette question lancinante a fleuri sur les murs de la ville de Nantes. Plusieurs enquêtes sont en cours pour tenter de faire la lumière sur les événements de la nuit du 21 au 22 juin et l’opération controversée de la police, après laquelle le jeune homme de 24 ans n’a plus donné signe de vie.

Un rassemblement est organisé samedi à 15 h 30 quai Wilson pour demander des réponses dans cette affaire où subsistent de nombreuses zones d’ombre. Les organisateurs dénoncent une « indifférence générale ».

  • Que sait-on de la soirée du 21 juin ?

Au soir de la Fête de la musique, une dizaine de sound systems (des murs d’enceintes diffusant de la musique) avaient été installés quai Wilson, le long de la Loire, avec une tolérance des autorités jusqu’à 4 heures du matin. Au plus fort de la nuit, le rassemblement a compté plus de 2 000 personnes. Mais à l’heure dite, alors que la plupart des installations coupent le son, la dernière, située au bout du quai, un endroit sans parapet, décide de jouer les prolongations.

Une vingtaine de fonctionnaires de la compagnie départementale d’intervention (CDI) et de la brigade anticriminalité (BAC) sont dépêchés pour mettre fin aux festivités. La musique est arrêtée une première fois. Mais sitôt les forces de l’ordre parties, les organisateurs remettent le son. Les policiers rebroussent chemin en direction de la fête et sont alors victimes de nombreux jets de bouteilles et projectiles en tous genres, selon Johann Mougenot, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique. Cinq fonctionnaires sont blessés, selon la même source, dont l’un « roué de coups à terre ».

Les policiers pris à partie répliquent par une trentaine de tirs de grenades lacrymogènes et de grenades de désencerclement. Ils font également usage de lanceurs de balles de défense (LBD), ainsi que de Tasers. L’opération, qui dure une vingtaine de minutes, provoque un mouvement de panique ; des personnes tombent à l’eau. Les images diffusées sur les réseaux sociaux attestent de la violence de l’intervention et de la grande confusion qui règne alors sur le quai.

A la vue des personnes dans l’eau, les policiers contactent les secours. Selon la préfecture, sept personnes ont été repêchées par les pompiers, quatre par une association de sauvetage mandatée par la ville de Nantes pour la soirée, et trois autres ont regagné la terre ferme par leurs propres moyens. Tous les fonctionnaires contactés s’accordent sur le fait qu’à aucun moment ils n’ont eu connaissance d’une personne disparue.

L’hypothèse d’une noyade a pourtant traversé les rangs des sauveteurs dès les premières heures, selon les témoignages recueillis par Le Monde. « D’emblée, on a reçu le signalement d’une personne ayant coulé, raconte un homme qui était au cœur du dispositif d’intervention. Des gens tentaient d’éclairer l’eau avec leur téléphone, mais on n’y voyait rien. La confusion était à son comble. Et il y avait aussi pas mal de gaz. » Un pompier, sous couvert d’anonymat, abonde en son sens : « Pour nous, il y a toujours eu suspicion d’une personne manquant à l’appel. »

  • Que sait-on du parcours de Steve Maia Caniço ce soir-là ?

Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, s’était rendu à cette soirée avec sa bande d’amis. « Vers 3 heures du matin, il a envoyé un message disant qu’il était très fatigué et il donnait l’endroit où il comptait attendre le groupe de potes avec qui il devait rentrer », confie Anaïs, 24 ans, une amie. Dorine, 23 ans, qui faisait partie du groupe devant repartir avec Steve Maia Caniço a appelé son ami « à 4 h 59. Direct, ça a été messagerie ».

Depuis, le téléphone du disparu est éteint et il ne s’est pas présenté à son travail, une école de Treillières, à quarante minutes de Nantes. Ses proches ont précisé que le jeune homme ne savait pas nager. Steve Maia Caniço, jure son entourage, boit modérément et « ne touche à aucun produit ». « La musique lui suffit, note Mathis, technicien de surface âgé de 20 ans. Parfois, on peut le voir pleurer tellement il aime les sons que sort un DJ. »

Lundi 24 juin, la police diffusait un appel à témoins demandant de l’aide pour retrouver le jeune homme d’1 m 72, qui portait ce soir-là un pull avec un drapeau américain.

  • Comment a réagi la police ?

Fait peu commun, ce sont des rangs même des policiers qu’ont émergé les premiers doutes sur le bien-fondé de l’opération, le long d’un quai dépourvu de parapet. C’est d’abord sous le sceau du « off » que certains fonctionnaires ont fait part de leurs réserves. « On n’intervient jamais au bord de l’eau ou sur un pont, même s’il y a des garde-corps, c’est trop risqué », confiait au Monde un haut gradé, expert en maintien de l’ordre, quelques heures après le signalement de la disparition. Au commissariat central Waldeck-Rousseau de Nantes, un policier parlait mardi de « branle-bas de combat » : « Tout le monde rase les murs, on sait qu’il va falloir trouver un responsable. »

C’est finalement un membre du syndicat Unité SGP Police, majoritaire au ministère de l’intérieur, qui s’est chargé de rompre le silence, mardi 25 juin. Philippe Boussion, secrétaire régional, a pointé « la responsabilité » du commissaire qui a assuré le commandement de l’opération, l’accusant d’avoir « commis une faute grave de discernement » en donnant à ses troupes « un ordre aberrant ». Une sortie peu goûtée par les autres syndicats. Pour Arnaud Bernard, secrétaire départemental d’Alliance police nationale, le syndicat majoritaire à Nantes, les troupes n’ont fait que répliquer à une agression. Cinq fonctionnaires ont été blessés dans l’intervention.

Sur le quai Wilson, de nombreuses personnes ont laissé des mots pour écrire leur colère après la disparition du jeune homme, dans la nuit du 21 au 22 juin. / LOIC VENANCE / AFP

  • Quelle est la position du ministère de l’intérieur ?

Depuis le début, la police conteste l’existence d’une charge des forces de l’ordre. Mais mercredi 26 juin, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, n’a pas écarté l’idée que la disparition du jeune homme soit « peut-être » liée à l’opération policière, sur laquelle le ministre a dit vouloir faire « toute la transparence ».

Le 16 juin, le ministre avait remis une médaille, censée récompenser un comportement « honorable », à Grégoire Chassaing, commissaire divisionnaire à Nantes. C’est lui qui était chargé des opérations de sécurité lors de la Fête de la musique. Unité SGP-Police assure que c’est lui qui a donné l’ordre de disperser la foule à grand renfort de gaz lacrymogènes. Une décision qui provoque la colère des proches de Steve Maia Caniço.

  • Quelle est la réponse judiciaire ?

Cinq procédures sont menées en parallèle.

  1. La disparition de Steve Maia Caniço fait d’abord l’objet d’une information judiciaire pour disparition inquiétante, pilotée par un juge d’instruction. Une trentaine d’auditions ont été réalisées à Nantes mais c’est désormais la police judiciaire de Rennes qui a repris la main, selon une source proche du dossier.
  2. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est également autosaisi pour enquêter sur cette soirée.
  3. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), saisie par le ministre de l’intérieur Christophe Castaner, est chargée d’une enquête administrative destinée à établir les circonstances précises de l’intervention policière.
  4. Une enquête de la police judiciaire a également débuté à la suite de « dix plaintes de policiers qui ont été blessés lors des événements de la Fête de la musique », selon Pierre Sennès, procureur de la République à Nantes.
  5. Enfin, une plainte collective de 89 participants a été déposée le 3 juillet pour « mise en danger de la vie d’autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique », confiée à l’IGPN.
  • Quelle est la réponse politique ?

L’affaire a mis du temps à être commentée parmi la majorité. Mounir Belhamiti, député (LRM) de Loire-Atlantique, a été l’un des seuls à publier sur Facebook une tribune cinglante pour éreinter, à tout le moins, les erreurs de communication du préfet de Loire-Atlantique à propos de la disparition de Steve Maia Caniço.

Mais dans l’opposition aussi, la disparition a été passée sous silence dans les premiers temps. « On n’a pas été assez proactif. C’est un vrai raté, reconnaissait ainsi Julien Bayou, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts. Mais il n’y a aucune frilosité de notre part. On a tous eu peur d’apparaître comme voulant récupérer un drame. »

La France Insoumise (LFI) a toutefois multiplié les prises de parole dans cette affaire controversée, dénonçant le fait que les violences policières « sont devenues un sujet tabou », selon la députée Muriel Ressiguier. « La classe politique est dépassée et n’ose pas en parler de peur d’apparaître comme “antiflic” », affirme-t-elle. « La hiérarchie policière et le pouvoir auraient préféré étouffer » l’affaire, a commenté pour sa part Jean-Luc Mélenchon. En écho, les députés LFI ont d’ailleurs signé une tribune dans Libération dans laquelle ils dénoncent une « répression policière disproportionnée », devenue une « matrice de [la] politique » d’Emmanuel Macron :

« Lors de cette nuit tragique, Steve est devenu malgré lui le visage d’une démocratie compromise, diminuée par un recours incessant à la violence. Cette brutalité est devenue le bruit de fond du macronisme et le pire serait que nous finissions par nous y habituer. »

La maire de Nantes, Johanna Rolland (PS), a quant à elle demandé vendredi 19 juillet des explications au ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. « De nombreuses questions restent sans réponse concernant une opération policière qui s’est tenue dans notre ville. Il doit désormais y être apporté, sans délai, des explications précises et publiques », écrit l’édile dans une lettre datée du jeudi 18 juillet. En réponse, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner a déclaré que « si la maire souhaite des explications sur l’avancée de l’enquête, elle doit s’adresser au parquet. »

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