Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors des élections législatives le 21 juillet. / GENYA SAVILOV / AFP

Volodymyr Zelensky a parachevé, dimanche 21 juillet, son offensive éclair sur la scène politique ukrainienne. Elu triomphalement à la présidence du pays au mois d’avril, l’ancien humoriste a conclu non moins brillamment l’acte II de sa conquête du pouvoir : avec 43,9 % des voix récoltées aux élections légicislatives, selon les premières estimations, M. Zelensky obtient le meilleur score jamais observé en Ukraine pour un scrutin de ce type. Avec ce plébiscite, il s’apprête à prendre le contrôle du Parlement, étape indispensable dans la transformation profonde du pays qu’il a promise aux électeurs. Le renouvellement est d’ores et déjà là, symboliquement, avec jusqu’à 70 % de nouveaux élus dimanche soir.

Seule incertitude qui persiste à l’issue de ce raz-de-marée électoral, la capacité de Serviteur du peuple, la formation de M. Zelensky, de gouverner seule. Le système électoral ukrainien attribue en effet la moitié des sièges de la Rada à la proportionnelle sur un scrutin de liste, et l’autre moitié à des députés élus dans les circonscriptions (moitié à laquelle il faut retrancher les 26 circonscriptions de Crimée et du Donbass sur lesquelles Kiev n’exerce pas son contrôle). Les résultats dans ces circonscriptions ne seront connus qu’à partir de lundi, les candidats de Zelensky, tous des nouveaux venus, devraient avoir plus de mal à détrôner des élites locales bien implantées et maîtrisant parfaitement les ficelles du clientélisme.

Si cela s’avérait nécessaire, d’éventuelles négociations pourraient s’étaler jusqu’en septembre, mais se profile donc une possible coalition, avec deux candidats pressentis pour jouer les forces d’appoint dans la majorité présidentielle : Batkivchtchina, la formation de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko (7,6 % des voix), ou Holos, le parti créé par la rock star Sviatoslav Vakartchouk il y a deux mois, qui a réussi à obtenir 6,3 % des suffrages.

Cette dernière option, celle de la participation d’un parti incontestablement libéral et réformateur, permettrait de placer le nouveau pouvoir sous surveillance. Parmi la cohorte d’élus du camp Zelensky, on trouve ainsi de nombreux inconnus dont les observateurs craignent qu’ils ne soient au service des intérêts oligarchiques, à commencer par ceux d’Ihor Kolomoïski, l’homme d’affaire qui a permis l’ascension de Volodymyr Zelensky.

« Immense responsabilité »

Dimanche soir, s’exprimant depuis son quartier-général de campagne, le président a évité d’évoquer de possibles alliances, se contentant de saluer en termes généraux le bon résultat du soir : « Ce n’est pas seulement un signal de confiance, c’est aussi une immense responsabilité pour moi et mon équipe », a dit M. Zelensky, assurant : « Je suis sûr que cela peut permettre la fin de la guerre. » Numéro cinq sur la liste présidentielle, la nouvelle élue Halyna Yantchenko confirmait en aparté qu’il était « trop tôt pour discuter sur des bases encore trop incertaines ».

Pour Volodymyr Zelensky, et pour son parti apparu dans le paysage il y a seulement quelques mois, l’exploit est historique. L’enseignement de cette victoire est double : si les électeurs ont montré en avril leur volonté de renverser coûte que coûte la table, en élisant un homme sans aucune expérience politique, connu uniquement pour ses moqueries à l’encontre de la classe politique, ils ont aussi fait preuve de cohérence, trois mois plus tard, en lui donnant les moyens de gouverner. C’était d’ailleurs l’axe de campagne principal choisi par les stratèges de Serviteur du peuple, qui ont présenté le scrutin de dimanche comme le « troisième tour » de la présidentielle.

Pour le reste, les recettes utilisées par les conseillers du président n’ont guère changé. Ceux-ci, pour la plupart venus des rangs du Kvartal 95, la société de production de Zelensky, ont continué à surfer sur l’aura de la série télévisée qui a rendu leur candidat si populaire, dans laquelle il incarnait un simple professeur propulsé président. « Serviteur du peuple », le nom choisi pour le parti présidentiel, n’est autre que celui de la série à succès.

Comme en avril, la campagne a été menée principalement sur les réseaux sociaux, et à coups de slogans attrape-tout et vagues. Les tournées du président dans les régions, au cours desquelles il a démis de leurs fonctions des dizaines de fonctionnaires présumés corrompus, ont aussi contribué à maintenir la popularité de l’ancien comédien au sommet.

Obtenir des concessions de Poutine

Zelensky et ses troupes ont désormais les moyens de rentrer dans le vif du sujet. L’opposition du Parlement sortant, voire les sabotages de l’administration, ont jusqu’à présent constitué une excuse confortable au manque de résultats des premiers mois de présidence. La tâche – assainir un système politico-mafieux fondé sur l’opacité et les arrangements de couloir – est certes immense étant donné la faiblesse des institutions de l’Etat, mais le président dispose d’une marge de manœuvre plus importante qu’aucun de ses prédécesseurs.

Au sein de l’Assemblée, il devrait ainsi affronter une opposition affaiblie, constituée de deux blocs principaux : d’un côté les troupes de l’ancien président Petro Porochenko (8,9 %), autoproclamés gardiens de la ligne patriotique et pro-européenne, et de l’autre côté les forces prorusses. Avec 11,5 %, la Plateforme de l’opposition, qui a bénéficié d’un soutien très appuyé de Moscou, reste certes le deuxième parti du pays, son recul se poursuit, illustrant le déclin de la mouvance prorusse.

M. Zelensky devrait désormais pouvoir mettre en avant les projets de loi qu’il promeut depuis longtemps : fin de l’immunité des élus, amnistie fiscale, réforme judiciaire, libéralisation de l’économie, e-gouvernement… mais aussi tenter d’obtenir des concessions de la part de Vladimir Poutine, lui qui a fait de l’obtention d’un cessez-le-feu durable dans le Donbass la priorité de son mandat. Ses premiers contacts avec son homologue russe, les semaines passées, devraient déboucher prochainement sur un nouvel échange de prisonniers, mais ils n’ont pour l’heure pas permis d’autres avancées, alors même que la partie ukrainienne a multiplié les gestes de bonne volonté, comme un retrait des troupes en plusieurs points du front.