Ouaga 2000 a été voulu par l’ancien président burkinabé, Blaise Compaoré, déchu par la révolte populaire de 2014. / Sophie Douce

Robe cintrée, talons hauts et collier de strass, Sita a sorti sa tenue des grands soirs. Ce vendredi, elle a fait le déplacement depuis la périphérie de Ouagadougou pour partager un verre « entre filles » à La Perle, l’un des bars les plus chics de la capitale. « Ça nous fait rêver, on se sent privilégiées quand on vient ici », glisse cette commerçante de 33 ans, assise à la terrasse d’un salon feutré où le ballet des serveurs en chemise et pantalon noirs commence à s’activer.

Hommes d’affaires, « fils de », mannequins ou encore footballeurs, l’endroit attire la jeunesse dorée burkinabée et quelques Occidentaux curieux. « L’ouverture il y a trois ans a créé l’événement, c’était la première fois que l’on voyait un lieu comme celui-ci au Burkina, depuis on est complet tous les week-ends, les clients viennent souffler, dépenser et se montrer », se targue le propriétaire Jezzimi Mahmoud, un Burkino-Libanais qui a commencé par ouvrir une boulangerie-pâtisserie au rez-de-chaussée, un restaurant au deuxième étage puis un « bar lounge » sur le toit. Depuis, La Perle est devenu un lieu incontournable de Ouaga 2000, quartier huppé de la capitale burkinabée, 10 km au sud-est de la ville.

Dans ce quartier en forme de trapèze parfait, comme tracé à la règle, les avenues spacieuses et les grosses cylindrées ont remplacé les routes défoncées et la circulation chaotique d’usage dans la capitale. Villas de luxe, ambassades ultra sécurisées et restaurants chics emplissent l’horizon. Un hôtel cinq étoiles et un centre commercial, construits par la Libyan Arab African Investment Company, un palais des sports et une salle des conférences y ont également vu le jour. Difficile d’imaginer qu’ici, il y a une vingtaine d’années, Ouaga 2000 n’était alors qu’un vaste terrain en pleine brousse.

Style soudano-sahélien

C’est à la veille du sommet France-Afrique de 1996 que le projet de construction d’une « ville nouvelle », qui permettrait d’accueillir les chefs d’Etat et les prochains rendez-vous internationaux, a été lancé. « En deux ans, cent villas présidentielles et ministérielles, une salle des conférences et des banquets ont été construites, les ouvriers travaillaient jour et nuit, c’était un chantier titanesque ! », se rappelle encore l’un des architectes Souleymane Zerbo. S’ensuivront l’installation de cités résidentielles puis du nouveau palais présidentiel de Kosyam, qui doit son nom à l’ancien hameau de culture sur lequel il a été bâti, quelques années plus tard. Une véritable forteresse, au style soudano-sahélien, qui aurait coûté plus d’une dizaine de milliards de francs CFA, et érigée à la hauteur des ambitions de l’ancien président Blaise Compaoré.

Le club La Perle, à Ouaga 2000, lieu incontournable de la jeunesse branchée burkinabée. / Sophie Douce

« Blaise aimait beaucoup l’architecture et a voulu apporter sa touche. La position du palais, en contrefort et éloigné du centre-ville, était aussi un choix stratégique pour éviter toute attaque ou coup d’Etat », glisse une source à la présidence, où l’on se perdrait souvent dans le dédale des couloirs circulaires faits de marbre et de bois.

Ouaga 2000 raconte aussi un pan de l’histoire contemporaine du Burkina Faso. Dans les jardins de Kosyam, l’ancienne résidence du « beau Blaise », renversé par une insurrection populaire en 2014 après vingt-sept ans au pouvoir, a perdu de sa splendeur et tombe en ruine désormais. Sur le portail du palais, des impacts de balles témoignent des violences du putsch manqué de septembre 2015 lorsque des militaires de l’ancien régiment de sécurité présidentielle (RSP) avaient tenté de renverser le gouvernement de transition. Juste en face, les deux poings levés du monument aux héros nationaux lui répondent, victorieux, hommage aux victimes des événements de 2014 et de 2015. Derrière, l’édifice principal, construit en 2006, et dont les quatre piliers représentent chacune des étapes de la lutte du peuple burkinabé – l’indépendance, la république, la révolution et la démocratie –, surplombe l’horizon. Et dans une rue voisine, protégée par un important dispositif de sécurité, les Burkinabés guettent désormais l’issue du procès des instigateurs présumés de la tentative de coup d’Etat de 2015, délocalisé pour l’occasion dans la salle des banquets de Ouaga 2000.

Garde présidentielle à cheval devant le nouveau siège de la présidence burkinabée, à Ouaga 2000. / ISSOUF SANOGO / AFP

Ouaga 2000 est aussi un vaste projet d’urbanisme pensé pour tenter de désengorger la capitale et former un nouveau centre institutionnel. Plusieurs ministères y ont déménagé et la nouvelle Assemblée nationale – l’ancienne a été brûlée lors des manifestations de 2014 – devrait bientôt y être construite. Alors ces dernières années, les investisseurs et nouveaux riches se sont précipités pour acheter une parcelle, dont le prix varie de 30 000 à 150 000 francs CFA (de 45 à 230 euros) le mètre carré. Peu à peu, la spéculation a explosé et les terrains vides, non viabilisés, s’accumulent. D’une superficie de 730 hectares à sa création, le quartier s’est étendu sur près de 3 000 hectares aujourd’hui. « Les Burkinabés investissent pour le prestige, habiter à Ouaga 2000 est vu comme une réussite sociale. On aime étaler sa fortune avec des constructions tape-à-l’œil, du marbre, des colonnes ou des balustrades », observe Léandre Guigma, un architecte urbaniste, qui a travaillé sur plusieurs villas.

Place Vendôme

Cachées derrière des grands murs de barbelés et des gardiens armés, les habitations rivalisent de luxe. Certaines pouvant dépasser les 500 millions de francs CFA à l’achat, l’équivalent de 700 000 euros ! Diplomates, hommes d’affaires et politiques y résident à l’abri des regards. A l’image de son quartier, les boîtes de nuit se nomment ici le V.I.P ou le Place Vendôme, prisées par la jeunesse dorée, ou encore Les Lauréats pour un établissement scolaire privé.

Tantôt admiré, jalousé ou détesté, Ouaga 2000 représente pour certains la folie des grandeurs et l’exclusivité. « On n’a rien à faire là-bas », rétorque des Burkinabés plus modestes, qui l’appellent volontiers « le quartier des riches ». « Pourquoi est-ce que nous avons des routes délabrées et sans cesse des coupures d’électricité chez nous et pas eux ? », s’interroge un autre.

A Ouaga 2000, le Monument des héros nationaux rend hommage aux victimes de l’insurrection populaire de 2014 et du putsch manqué de 2015, sur le boulevard Mouammar-Kadhafi. / Sophie Douce

Cinéma, supermarchés, écoles et cliniques privées s’y sont multipliés, à tel point que certains habitants rechignent même à sortir de cette « ville dans la ville ». « On trouve tout ici, le quartier est plus ordonné et sécurisé, il y en a qui préfèrent éviter le centre-ville maintenant, à cause des embouteillages et de l’insécurité », observe un jeune homme, fils d’un homme politique renommé. « C’est un quartier froid, disproportionné. Il n’y a pas assez d’espaces publics à taille humaine, comme des marchés ou des jardins. Ouaga 2000 doit s’ouvrir, pour que les Ouagalais réussissent à s’approprier l’espace », plaide Léandre Guigma. « Le quartier prend vie peu à peu ! Regardez tous les nouveaux endroits qui se sont créés et ce n’est pas fini », lui rétorque un habitant. Ouaga 2000 n’a pas fini sa mue.

Quartiers d’Afrique, notre série d’été

Ils sont étonnants, innovants, branchés ou en mutation. Cet été, Le Monde Afrique vous emmène à la rencontre de quartiers de capitales africaines à l’histoire singulière. De Maboneng, à Johannesburg, délaissé à la fin de l’apartheid avant de devenir un symbole de mixité, à Osu, quartier de la capitale ghanéenne, aux airs de pépinière de créateurs, en passant par PK5, quartier à majorité musulmane de Bangui, en Centrafrique, qui renaît au commerce après la sanglante crise de 2013, nos journalistes vous font découvrir des lieux d’exception qui disent à eux seuls beaucoup des pays explorés et du continent. Bon voyage !