SEBASTIAN KAHNERT / AFP

Editorial du « Monde ». Trente-huit degrés à l’ombre : Greta Thunberg ne pouvait rêver d’un meilleur jour pour sensibiliser les élus du Palais-Bourbon à la cause du réchauffement climatique. L’épisode caniculaire qui sévit de nouveau en France n’a pourtant pas empêché des esprits contrariés de s’échauffer à l’idée de voir une lycéenne suédoise de 16 ans aux nattes bien sages, icône de la jeunesse européenne mobilisée pour sauver la planète, répondre à l’invitation d’un groupe transpartisan de quelque 160 députés. La France étouffe, mais certains s’étranglent de voir la jeune militante reçue à l’Assemblée nationale.

Soyons clairs : Greta Thunberg n’est pas une théoricienne, ni une scientifique, ni une héroïne, ni même à la tête d’un mouvement politique. Le simplisme de son discours alarmiste a de quoi irriter les adeptes de la subtilité les plus ouverts. Chaperonnée par des parents artistes, elle maîtrise tous les codes de la communication moderne, du message vidéo TedTalk au petit détour par le Forum économique de Davos, où elle a morigéné les PDG venus polluer la montagne magique de leurs hélicoptères, elle qui prend le temps de ne voyager qu’en train.

Mais il faut prendre Greta Thunberg pour ce qu’elle est devenue, depuis bientôt un an, en lançant son opération de grève scolaire « Vendredis pour le futur » : un symbole. Par son message « Vous me volez mon avenir », elle incarne la mobilisation spontanée d’une génération qui réalise que la planète dont elle hérite est menacée par un mode de vie, de production et de consommation incompatible avec la croissance démographique.

Prise de conscience profonde

Elle n’est pas la première à tirer le signal d’alarme, loin de là. Une adolescente de 12 ans, Severn Cullis-Suzuki, avait déjà électrisé le Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, en 1992. Depuis maintenant de longues années, chercheurs, institutions spécialisées et médias alertent sur les dangers du changement climatique. Progressivement, le front des climatosceptiques s’est effondré, leurs arguments sont devenus inaudibles face à l’évidence. Les habitants des pays développés ont commencé à modifier leurs comportements, la transition énergétique est devenue un enjeu économique majeur, le climat un domaine de la diplomatie.

A cette prise de conscience profonde, mais graduelle, le symbole Greta Thunberg a ajouté l’urgence médiatique et la dimension générationnelle. Il faut être politiquement aveugle – et l’état de notre débat public montre que nombre de nos élus le sont encore – pour ne pas comprendre que la protection de l’environnement est aujourd’hui un ressort fondamental dans l’électorat. Parce que cette préoccupation transcende les clivages traditionnels, son expression politique n’est pas encore aboutie ; mais la mobilisation citoyenne est réelle, comme l’ont prouvé les importantes manifestations de jeunes, au printemps, à travers l’Europe et la montée du vote vert, tout particulièrement au sein de la jeunesse, aux dernières élections au Parlement européen.

Pour toutes ces raisons, on aurait tort de mépriser Greta Thunberg. Et pour les mêmes raisons, parce que l’écologie est aujourd’hui une urgence, il est également important de mesurer toutes ses conséquences économiques et politiques, en particulier pour les catégories de la population que le discours écologiste radical inquiète ou aliène. C’est une des leçons de la crise des « gilets jaunes » à retenir.