A Rabat en juillet 2012. / FADEL SENNA / AFP

Chacun donne son avis sur cette affaire qui fait polémique. Une célèbre actrice marocaine et un réalisateur sont soupçonnés d’adultère. Une plainte a été déposée par le mari de la jeune femme. « Le 7 juillet, ma cliente a été placée en garde à vue vers 9 heures du matin, elle a pu rentrer chez elle dix heures plus tard. Pour l’instant, il n’y a pas de poursuites, faute de preuves », nous confie l’avocat de l’actrice, Me Tayeb Adlouni Alami. Le réalisateur a pour sa part subi le même sort. Le 11 juillet, le procureur du roi a décidé de remettre le dossier à la police judiciaire pour « complément d’enquête ».

Une décision « bizarre et non fondée », selon l’avocat de la jeune femme, « puisque, selon la loi marocaine, cette infraction ne peut pas être établie par tout mode de preuve. Le Code de la procédure pénale exige le flagrant délit » qui n’a pas été constaté au moment de l’interpellation de l’actrice et du réalisateur.

Retrouvés au petit matin dans le même appartement à Casablanca, les deux interpellés ont nié toute relation sexuelle, expliquant qu’ils se retrouvaient tard le soir pour travailler et discuter d’un projet artistique. Le mari de la comédienne, un homme d’affaires installé à l’étranger, maintient ses accusations d’infidélité, affirmant pouvoir prouver les faits par des photos et des vidéos.

Liberté des personnes adultes

Cette affaire a choqué au Maroc et a fait réagir la société civile. Plusieurs organisations féministes s’en sont saisi pour rappeler leur combat pour la dépénalisation de l’adultère et des relations sexuelles hors mariage, alors que la réforme du Code pénal est en discussion au Parlement. Au Maroc, 3 000 personnes ont été poursuivies en 2018 pour adultère, au regard des articles 491 et 492 du Code pénal, et les deux protagonistes risquent un an à deux ans de prison ferme.

« Si des affaires comme celle-ci arrivent tout le temps, ce cas particulier déplace le débat dans l’espace public, car cette actrice est une personnalité connue », assure Fouzia Assouli, présidente de la Fondation euro-méditerranéenne des femmes (FEMF) et présidente d’honneur de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes (FLDDF). « La pénalisation de l’adultère est une violation des libertés individuelles. Il s’agit de relations individuelles entre adultes responsables. La loi n’a pas à interférer sur le plan éthique ou moral. Cette loi est même contraire à la Constitution marocaine de 2011 qui demande le respect de la dignité et de la liberté des personnes », argumente la militante.

Même son de cloche au sein de la coalition d’associations Le Printemps de la dignité, qui demande l’abrogation des articles 490 à 493 du Code pénal pénalisant les relations sexuelles hors mariage. « Ces articles jouent principalement contre les femmes », soutient Khadija Rougani, membre de la coalition, déplorant l’absence de données pour appuyer son point de vue. « Malheureusement, nous n’avons pas de chiffres, regrette-t-elle, car les responsables politiques ne nous donnent pas ces informations. » Mais la militante a pu constater sur le terrain une nette discrimination dans l’application des lois. D’autant plus que les femmes ne vont pas toujours au bout de leur plainte et se retirent souvent de la procédure, alors même que l’adultère masculin est encore « vu comme un signe de virilité » dans la société marocaine.

Application de la loi déviée par le culturel

Khadija Rougani rappelle aussi que la loi pénalise les relations sexuelles, « et non pas deux personnes de sexe opposé qui se retrouvent tard le soir dans un appartement », précise-t-elle. « Dans les articles 490 à 493, les preuves sont limitées au flagrant délit, aux aveux ou écrits et photos qui concernent la relation sexuelle et pas autre chose. Cependant, leur application est souvent déviée à cause des mentalités, insiste la militante. Le premier référentiel des autorités judiciaires n’est pas la loi mais le culturel. »

Pour que sa voix soit entendue sur la réforme de la loi, la société civile a alors déposé une liste de recommandations aux parlementaires de la commission justice, législation et droits humains. « Nous avions l’ambition de restructurer le Code et la procédure pénaux pour qu’ils soient en harmonie avec les conventions internationales signées par le Maroc », témoigne Amina Maelainine, députée du Parti justice et développement (islamiste), membre de la commission. « Mais finalement, le gouvernement a décidé de faire une réforme partielle et il n’est pas prévu que soient touchés les articles 490 à 493 », précise-t-elle, dans l’attente des amendements que la commission devrait commencer à examiner à la rentrée.

« Certains partis politiques disent nous soutenir mais n’agissent pas. Nous avons organisé beaucoup de rencontres, nous avons présenté un mémorandum à Mohammed Aujjar, le ministre de la justice. Il nous a fait des promesses », liste Fouzia Assouli, la présidente de la FEMF, consciente qu’il sera compliqué de faire bouger les mentalités même si, estime-t-elle, « la société marocaine est prête ». En 2018, l’âge moyen au moment d’un premier mariage était de 31,9 ans pour les hommes contre 25,5 ans pour les femmes, selon l’enquête nationale sur la population et la santé familiale (ENPSF) réalisée par le ministère de la santé. « Les relations sexuelles hors mariage et adultère sont une réalité dominante, que ce soit dans les milieux islamistes ou non. C’est un fait, il faut que les lois prennent en compte cette réalité. Pénaliser une pratique dominante est illogique ! », s’agace la militante.