Le dictateur gambien Yahya Jammeh à Banjul le 27 novembre 2016, un mois et demi avant sa chute. / MARCO LONGARI / AFP

Une trentaine de migrants originaires du Ghana auraient été exécutés sommairement par une unité paramilitaire sur ordre de l’ex-président gambien Yahya Jammeh, ont accusé, mardi 23 juillet, deux anciens membres de la garde présidentielle, reconnaissant avoir participé au massacre, lors d’une audition publique devant la Commission vérité et réconciliation (TRRC).

Les meurtres, qui remontent à juillet 2005, visaient trente Ghanéens faisant partie d’un groupe de migrants clandestins – 44 Ghanéens et plusieurs Nigérians, Sénégalais et Togolais – arrêtés sur une plage de Gambie alors qu’ils tentaient de se rendre en Europe.

Exécutions sommaires

« Yahya Jammeh a ordonné l’exécution de ces ressortissants étrangers », présentés comme des « mercenaires », a déclaré devant la TRRC Omar Jallow, ex-membre des Junglers, une unité officieuse de soldats choisis au sein de la garde nationale.

Selon son récit, qui confirme une enquête des ONG Human Rights Watch (HRW) et TRIAL, ces 30 Ghanéens ont été emmenés dans le village du président, Kanilai, avant d’être exécutés de l’autre côté de la frontière sénégalaise.

Les autres migrants ont également été tués, à l’exception d’un unique survivant ghanéen, Martin Kyere, qui avait réussi à sauter du véhicule en marche. Yahya Jammeh, en exil en Guinée équatoriale, a toujours démenti être impliqué dans ces assassinats.

Un autre militaire, Malick Jatta a également avoué mardi avoir tué l’un des migrants ghanéens, mais a assuré avoir épargné un fuyard, dans une probable référence à Martin Kyere.

Omar Jallow a expliqué que leur commandant, le lieutenant Solo Bojang, « nous a dit que l’ordre de l’ancien chef de l’Etat était de les fusiller ». « On les a conduits un par un jusqu’au lieu d’exécution et Sanna Manjang et Malick Jatta leur ont tiré dessus et les ont jetés dans un puits. »

Sanna Manjang, déserteur de l’armée en fuite, a été accusé lundi par Malick Jatta d’avoir participé, sur ordre de Yahya Jammeh, à l’assassinat en 2004 du journaliste Deyda Hydara, cofondateur du journal privé The Point et correspondant de l’AFP. M. Jatta a reconnu avoir participé à cet assassinat.

« La question maintenant est de savoir si Jammeh devra rendre des comptes », a réagi le conseiller juridique de Human Rights Watch, Reed Brody.

Omar Jallow a aussi expliqué que l’un des migrants lui avait donné « 100 dollars pour qu’il puisse faire ses prières » mais qu’il avait été immédiatement abattu par Sanna Manjang. « J’ai gardé les 100 dollars ».

L’ancien membre des « junglers » a ajouté avoir participé à l’exécution d’un demi-frère du président, Haruna Jammeh, peu après son interpellation en 2005 par la redoutée Agence nationale du renseignement (NIA). Le demi-frère du président avait été conduit dans une forêt proche de Kanilai, où « Sanna Manjang l’a tué d’un coup sur la nuque », a dit Omar Jallow.

Demande d’extradition

Arrivé au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en juillet 1994 dans ce petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest, enclavé dans le Sénégal, Yahya Jammeh s’était fait élire en 1996 puis réélire sans interruption jusqu’à sa défaite surprise, en décembre 2016, face à l’opposant Adama Barrow.

Les défenseurs des droits humains accusent son régime de tortures systématiques d’opposants et de journalistes, d’exécutions extra judiciaires, de détentions arbitraires et de disparitions forcées pendant ses vingt-deux ans de pouvoir.

Après six semaines d’une crise à rebondissements, il a finalement dû quitter son pays en janvier 2017 à la suite d’une intervention militaire et diplomatique régionale.

Interrogé début 2018 sur une éventuelle demande d’extradition de Yahya Jammeh, Adama Barrow a répondu qu’il attendrait la fin des travaux de la TRRC pour se prononcer.