17e ÉTAPE : PONT-DU-GARD - GAP, 200 km

Dossard n°1. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Mais comment fait-il ? Tour après Tour, on admire sa constance, son enthousiasme qui semble intact, sa résistance à l’épreuve physique et intestinale, sa capacité à avoir toujours quelque chose à dire quand on lui tend un micro. Dès demain, vous réentendrez parler ici des performances de Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot, mais puisque l’étape du jour a peu de chances de bouleverser la course, intéressons-nous à celles de Christian Prudhomme.

Voilà douze ans que l’ancien présentateur de Stade 2 dirige le Tour de France, ce qui est une forme d’exploit sportif. Combien de mains a-t-il serrées ? Combien de paniers garnis reçus ? Combien d’hectolitres de vin engloutis ? Combien de tonnes de charcuterie ingurgitées ? Christian Prudhomme répète volontiers ses formules fétiches : il a signé « un CDI avec le cholestérol, les triglycérides et les Gamma GT », et il a été pris pour le poste parce qu’il savait « découper le saucisson ».

Pour lui, la Grande Boucle, c’est La Grande Bouffe, alors il faut gérer son effort. Son abstinence dans les deux mois qui précèdent et le mois qui suit le Tour est désormais célèbre. Pas une goutte d’alcool, pour compenser les flots incessants de juillet : « Les gens sont tellement contents de nous recevoir, je ne me vois pas refuser le verre qu’on me tend pendant le Tour, c’est pas possible. »

Ce souvenir, dans une interview à Ouest-France l’an passé : « À Saumur, je me souviens bien du premier verre de vin blanc à 7 h 31, et du premier verre de vin rouge à 7 h 34. » Christian Prudhomme n’a jamais vécu de cuites sur le Tour, mais des soirées sympathiques, oui ». Aucune, en trois semaines, ne se déroule à moins de 0,5 g par litre. « Mais je ne suis jamais au volant. »

Tripoux et chou farci à 8 h 30

Le patron du Tour doit parfois honorer deux – cas rarissime, trois – dîners officiels avec des élus ou des sponsors dans la même soirée. Avant cela, la journée est un grignotage permanent : « L’autre jour on a vu les agriculteurs de la FDSEA de la Loire, je me suis retrouvé avec des morceaux de viande, des cerises, un verre de jus de fruit, un verre de vin, j’ai dû avaler les quatre en 20 secondes. »

Les deux patrons du Tour, lors de l’édition 2016. / Christophe Ena / AP

En 2012, il disait au JDD redouter les passages dans le Massif central. « On y attaque dès 8 h 30 au tripoux et au chou farci. J’adore ça, mais je me souviens avoir pris une grande claque dans le dos d’un maire parce que je ne me servais pas une seconde assiette. Il me disait : “Elle n’est pas bonne ma cuisine ?” »

Douze ans à la tête du Tour, combien d’indigestions ? « Jamais. Jamais, jamais. Absolument jamais, nous répond-il. De toute façon, j’ai un très bon coup de fourchette, mon grand-père faisait des concours de bouffe. »

« J’ai la conviction que certains ne pourraient pas faire un seul jour ce que je fais pendant trois semaines », dit-il. L’affaire est épuisante. Cinq à six heures de sommeil par nuit, compensées par deux semaines de sieste en août (« Je ferme les volets, je me refous sous les draps, et ça dure ce que ça dure »).

Contrairement à certains coureurs (et journalistes), Prudhomme affirme n’avoir jamais connu de défaillance en troisième semaine. Mais il lui est déjà arrivé, à son retour à Paris, d’avoir oublié le code de son immeuble ou de sa carte bleue.

« Attends, on est où aujourd’hui ? »

Il raconte un boulot qui fait perdre la boule. « Parfois pendant le Tour, quand je me réveille la nuit pour aller aux toilettes, il m’arrive de ne plus savoir où je suis, je me dis “attends, on est où aujourd’hui ?”. Ça m’est même arrivé chez moi, dans la préparation du Tour : je me réveille, je cherche les toilettes, et je comprends en arrivant dans la salle de bains que je suis chez moi. Je me dis “Bah c’est pas vrai, je suis chez moi ?”. Je m’en étais pas rendu compte. »

En public, la situation est sous contrôle, et le ballet bien rôdé. Chaque jour, vêtu de l’inévitable triptyque pantalon beige - chemise blanche - mocassins (parfois sans chaussettes), le patron du Tour passe un quart d’heure sur un podium dans la ville de départ, aux côtés du maire, des quelques adjoints, d’une sénatrice ou d’un vice-président du conseil départemental, et c’est un spectacle dont on se délecte, pour des raisons qu’on a du mal à expliquer.

Kristian Prüdemann, à Düsseldorf en 2017, quelques mois avant que n’y soit donné le départ du Tour. / Landeshauptstadt Düsseldorf/Mic / Landeshauptstadt Düsseldorf/Mic

Ah, il faut voir les élus locaux transis de bonheur remercier Christian Prudhomme de leur avoir offert le Tour (contre 70 000 euros hors taxe). Et il faut voir Christian Prudhomme les remercier en retour, assurer que le Tour ne peut aller que là où on l’invite (contre 70 000 euros hors taxe) et répéter, tel Julian Alaphilippe en conférence de presse, tous les jours les mêmes mots : « Sans les élus, il n’y aurait pas de Tour de France. Il faut un maire ou une maire qui dise “oui” pour une ville départ ou d’arrivée, un président ou une présidente de département qui dise “oui” pour les routes », dont il n’oublie jamais de vanter « l’enrobé magistral » préparé par les services départementaux du Haut-Rhin, de la Haute-Loire, des Hautes-Pyrénées.

Bagou chiraquien

Prudhomme n’oublie jamais de flatter les élus pour la beauté ou la spécialité de leur ville (« Ah, les merveilleuses arènes de Nîmes ! », « Ah, la cité épiscopale d’Albi, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco ! », « Ah, la première bulle de Limoux ! »), ni de glisser un petit mot à l’adresse des services de l’État, « les 29 000 policiers, gendarmes et pompiers sans qui rien ne serait possible non plus ». Un homme politique en campagne.

Sur le Tour, ce bientôt sexagénaire à la carrure et au bagou chiraquiens serre de la même manière la main d’Emmanuel Macron et celle de Gilles Craspay, président de la commission finances du conseil départemental des Hautes-Pyrénées, ou d’Anthony Chaze, conseiller municipal délégué au sport dans les quartiers, au sport scolaire, universitaire et au handisport à Nîmes.

Quinze ans à la tête du Tour lui ont apporté une connaissance profonde de la vie politique française et de ses acteurs : « On découvre des personnages exceptionnels. Ce que j’ai découvert en quinze ans ne correspond absolument pas à l’image qu’on donne des hommes et des femmes politiques. » Il sort son téléphone, tape « conseil départemental » dans le répertoire, et alors apparaissent 75 noms. « Que des présidents. » Il affirme avoir 500 numéros d’élus. On pense qu’il obtiendrait sans peine autant de signatures s’il le souhaitait.

17e étape : le faux calme avant la vraie tempête

A côté des trois qui suivent, la 17e étape n’a rien de bien impressionnant, mais les 200 kilomètres qui emmènent le peloton du pied du Pont du Gard au pied des Alpes, à Gap, mercredi, ont une bonne petite tête de piège. Qui n’est pas sans rappeler l’étape de Saint-Etienne (8e), où Thomas De Gendt s’était imposé après une échappée géante, et où Julian Alaphilippe et Thibaut Pinot avaient dynamité la fin de course. Même profil vallonné et éprouvant, mêmes chances pour un baroudeur de gagner, mêmes risques pour les leaders de perdre quelques secondes, notamment dans la bosse finale. Et si Alaphilippe profitait de ce terrain à son avantage, avant trois jours sur des pentes qui le seront moins, pour grignoter un peu de temps ?

Départ 12 h 25 ; arrivée prévue vers 17 h 30.

PS. Si vous êtes désœuvrés en attendant 12 h 25, voyez donc La République de Juillet, documentaire qui résume bien la course dans ce qu’elle aura toujours de magique malgré les dérives. Et qui dévoile le côté marlou de Christian Prudhomme dans la scène mythique de la négociation avec le maire de Val Thorens, au sujet de l’arrivée de l’avant-dernière étape cette année (à partir de 23 h 30).

La République de Juillet - Documentaire (06/07/2019)
Durée : 53:30