Vincenzo Nibali a gagné l’étape-miniature entre Albertville et Val Thorens. Egan Bernal a gagné le Tour de France. Julian Alaphilippe a disparu du podium, ce qui était prévu. Romain Bardet est sacré meilleur grimpeur, ce qui ne l’était pas. Plus que 128 kilomètres de parade entre Rambouillet et Paris dimanche, et 300 mètres de sprint entre la place de la Concorde et la ligne d’arrivée sur les Champs-Elysées, et c’en sera fini d’une 106e Grande Boucle mémorable.

Passation de pouvoir. / Christophe Ena / AP

L’avant-dernière du Tour a été l’anti-climax attendu, et il est vrai qu’on ne pouvait pas monter beaucoup plus haut dans les pulsations que la veille. Les scénaristes voulaient nous faire redescendre doucement vers le critérium des Champs-Elysées et nous ont tout de même offert Vincenzo Nibali pour nous accompagner vers les vacances, ce qui est chic.

Il y avait, tout en haut de la station de Val-Thorens, déjà un air de vacances pour les coureurs du Tour, soudain plus légers, moins soucieux de protéger leurs gorges, de savoir où se trouvait leur bus. On était à 2.365 mètres d’altitude, mais l’oxygène semblait moins rare qu’à Valloire, deux jours plus tôt et 1.000 mètres plus bas.

La réduction de l’étape à une course de cote - mais quelle cote ! - avait évité aux coureurs des descentes stressantes et une lutte épuisante pour finir dans les délais, à la veille des Champs-Elysées. « On pouvait profiter des fans, des Colombiens fous, prendre ce col à la cool, sourit Toms Skuijns, le grimpeur de la Trek-Segafredo. Grâce à ce qui s’est passé hier et à Julian Alaphilippe, c’est un Tour dont les gens se souviendront longtemps, dans dix ans on en parlera encore. »

Tout le monde a semblé se désintéresser de cette étape atypique, mais son mérite est de sacrer un coureur qui, chaque fois qu’il est venu, a honoré le Tour de France. De cette absence de course - notamment de la part d’Egan Bernal, sans doute soucieux de préserver la deuxième place de Geraint Thomas -, Romain Bardet hérite un maillot à pois curieux.

Echappé dans la dernière étape des Pyrénées et la première étape des Alpes, il est passé une fois au sommet d’un col de première catégorie (le port de Lers), deux fois deuxième dans des cols hors-catégorie où les points étaient doublés (Izoard et Galibier), et l’absence de concurrent sérieux lui a tricoté un maillot qui ne lui épargnera pas la remise en question. Dans sa tête, elle a déjà commencé.

Alaphilippe rend les armes

On pouvait s’en douter : c’est quand les deux lampions de ce Tour de France sont arrivés au bout de la pile que la course s’est éteinte. Thibaut Pinot et Julian Alaphilippe auront été - sans doute est-ce un point de vue cocardier - les deux animateurs de ce Tour et aucun ne sera sur le podium sur les Champs-Elysées, même si le mousquetaire de la Deceuninck-Quick Step s’y glissera sans doute au titre de super-combatif du Tour, récupérant ainsi l’un des trophées les plus laids de l’histoire du sport.

Julian Alaphilippe, c’était attendu, a rendu les armes, plus tôt que d’habitude, à 13 kilomètres du sommet et alors qu’une vingtaine d’hommes restaient dans le peloton essoré par la Jumbo-Visma. L’équipe néerlandaise n’avait d’autre ambition que de faire rendre gorge au Français, et Steven Kruijswijk n’eut jamais à passer à l’attaque.

L’équipe Ineos, qui n’a jamais semblé aussi vulnérable que dans ce Tour de France, prend les deux premières places du classement final, et Egan Bernal finit en jaune sans avoir gagné d’étape, le huitième dans ce cas dans l’histoire du Tour de France.

C’est peut-être Geraint Thomas qui a le mieux résumé ce Tour : « On nous a pas mal tapé dessus en nous disant que notre façon de gagner était chiante, donc on a fait ce qu’il fallait pour que ce soit un petit peu plus fun, tout en gagnant à la fin. »

Le vainqueur du Tour 2029 ? Un jeune Colombien pleure devant un écran géant de Zipaquira, ville natale d’Egan Bernal, qui est au même moment, à 9 000 kilomètres de là, en train de remporter le Tour de France. / LUISA GONZALEZ / REUTERS

Le Tour du comptoir : Albertville

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où le « Tour de France blues » nous guette.

Dans quelques minutes, le peloton s’élancera vers Val Thorens en passant par la Nationale 90, que les Albertvillois appellent « la 2-2 », sans doute parce qu’elle compte deux fois deux voies, et permet de rallier en vitesse les stations de ski alentour. La route est un héritage des Jeux olympiques de 1992 qui continuent de faire la renommée de la ville.

Colette se souvient très bien du jour de leur inauguration : « Le 8 février 1992, il faisait un temps superbe. » Impressionnant. Dans vingt-sept ans, se souviendra-t-elle de la grisaille du 27 juillet 2019, le jour où Albertville a accueilli son 6e départ d’étape du Tour, même si ça ne vaut pas tout à fait une cérémonie d’ouverture de JO d’hiver ? « Oui, je me souviendrai de la météo, je me souviendrai que j’ai discuté avec vous, et je me souviendrai que j’ai vu Thomas Voeckler dans ce café. » La preuve.

Albertvilloise de longue date (on peut aussi dire « Albertvillaine », mais elle ne l’est pas du tout), Colette n’est pas originaire de Savoie, mais de Haute-Savoie, ce qui ne pose pas de problème : les relations sont cordiales entre Savoyards et Hauts-Savoyards (faut-il un “s” à “Hauts” en pareil cas ? Nous faisons appel aux linguistes).

En revanche, il paraît que les habitants de la vallée de la Tarentaise où nous sommes ce matin, et ceux de la vallée de la Maurienne où nous étions vingt-quatre heures plus tôt, ne s’apprécient guère. « On dit que la Tarentaise nage comme ça, et que la Maurienne nage comme ça. » Le « comme ça » tarentais = un mouvement de brasse traditionnel. Le « comme ça » mauriennais : un mouvement de brasse inversé, comme pour ramener l’eau vers son buste. « C’est pour dire qu’ils prennent tout l’argent pour eux » (quelqu’un pourrait-il nous en dire plus ? Nous faisons appel aux autochtones).

Colette a beaucoup regardé le Tour : « Surtout l’émission avec Laurent Huya, il est tellement sympa », même s’il s’appelle Laurent Luyat. Elle a été très émue par Thibaut Pinot : « J’ai versé ma petite larme, il m’a fait de la peine. » En ce qui concerne l’analyse tactique de la course, bon, voilà : « Par rapport aux sportifs, je ne suis pas trop. C’est surtout l’atmosphère du Tour que j’aime. Et puis c’est beau de les voir courir, ils font un bel effort. Là, je pense qu’ils en ont un peu marre, ils doivent être fatigués. »

Plus que 24 heures d’effort pour eux, et de bonheur pour Colette. Lundi, c’en sera terminé. « Qu’est-ce que je vais faire maintenant l’après-midi ? » Chère Colette, on se pose tous la question.