La pelleteuse jaune de leader du classement général, et la pelleteuse blanche de meilleur jeune. / Thibault Camus / AP

20e ÉTAPE, ALBERTVILLE - VAL THORENS, 59 km, DÉPART 14 h 30

Faut-il vraiment poursuivre le Tour cet après-midi ? Ne pourrait-on pas prendre un moment, le temps de méditer sur ce qui vient de se passer, plutôt que de reprendre la route sans avoir eu le temps de dessaouler ? Le silence et l’immensité des abords du lac du Chevril fournissaient pourtant un cadre idéal pour digérer tranquillement nos émotions. On sait bien qu’il reste officiellement deux étapes. Mais tout le monde a compris que la course s’était achevée brutalement sur les pentes du col de l’Iseran vendredi, dans une forme d’apothéose négative, mais une apothéose quand même.

Le Tour de France a fréquenté hier les hautes sphères de la légende. La tempête de grêle et la coulée de boue fatales à la 19e étape et aux espoirs français viennent se ranger directement, aux côtés de la chute de Luis Ocaña dans la descente du col de Mente, du coup de poing donné à Eddy Merckx, de la gueule en sang de Bernard Hinault, des huit secondes de Laurent Fignon, du tout droit de Lance Armstrong à travers champs ou de la course à pied de Chris Froome au Ventoux, dans la galerie des images indélébiles.

On ne fera pas mieux cette année, on aimerait pouvoir passer à 2020, et considérer l’édition 2019 comme close. Mais puisqu’il faut bien repartir, alors repartons. En route pour le dernier volet de l’épique triptyque alpestre dont on a tant parlé, qui aura bien été épique, qui aura bien été alpestre, mais qui n’aura pas vraiment été un triptyque.

Une dernière demi-étape

Comme la 19e, la 20e étape entre Albertville et Val Thorens sera une demi-étape. Elle a été réduite de 130 à 59 kilomètres, et l’ascension du Cormet de Roselend rabotée : routes impraticables, là aussi, en raison de glissements de terrain qui ont cette fois eu la politesse de se produire 24 heures et non un quart d’heure avant le passage du peloton, ce qui est plus facile pour s’organiser, mais fatalement un peu moins homérique.

Thierry Gouvenou, l’homme qui dessine le Tour, nous disait il y a peu, à propos de la montée finale longue de 33 kilomètres qui attend les coureurs : « Val Thorens, pour celui qui n’a plus de jambes, ça peut être un vrai calvaire. Si tu es décroché à un moment, tu ne t’en remets jamais, alors que ça n’est pas très dur. Le peloton va passer trois jours d’affilée au-dessus de 2 000 mètres, ça n’a jamais été fait. On va aller au bout de l’épuisement. »

Un peu moins au bout que prévu, finalement, puisqu’avec 70 kilomètres et le Cormet de Roselend en moins, le peloton abordera l’ultime ascension de l’été avec une certaine fraîcheur, si tant est qu’on puisse encore parler de fraîcheur au bout de trois semaines de Tour.

La 20e étape, avant rabotage.

La 20e étape, après rabotage.

Au bout de ce tremplin sans fin qui lui est favorable, le Colombien Egan Bernal, 48 secondes d’avance sur Julian Alaphilippe, célébrera à 22 ans sa première victoire dans le Tour, dimanche sur les Champs-Elysées, la septième en huit ans, avec quatre coureurs différents, pour l’équipe Ineos/Sky.

Alaphilippe peut tenter un coup, mais le veut-il ?

Evidemment, rien n’interdit à Julian Alaphilippe, cet après-midi, de tenter un coup de folie, de partir comme une brute dès Albertville, et de bombarder pour arriver avec 50 secondes d’avance au pied de la montée vers Val Thorens, dans l’espoir qu’une coulée de boue vienne bloquer le passage, que l’étape soit neutralisée, et que les temps soient pris à Moûtiers.

Son cousin entraîneur Franck Alaphilippe n’exclut en tout cas pas un scénario kamikaze : « Connaissant Julian, s’il a bien récupéré, il peut essayer, c’est sûr. Je pense même qu’il va essayer. Il ne lâchera rien, quitte à exploser sur la fin. »

Julian Alaphilippe sur le dos de son coéquipier Enric Mas, le 26 juillet à Val-d’Isère. / JEFF PACHOUD / AFP

Ça n’avait pas l’air d’être l’idée du Français, à qui il fut demandé, alors que la course venait d’être neutralisée hier, si le maillot jaune était encore jouable : « Je pense pas, non. C’était un rêve de le porter, j’ai poursuivi le rêve plus longtemps que prévu. (…) A partir du jour où j’ai porté le maillot, ça n’a pas changé mes plans, je me suis pas mis à rêver du jour au lendemain que j’allais gagner le Tour de France. Mais je me suis battu tous les jours. »

Le clou de la 19e étape. / Thibault Camus / AP

Les images avaient fini par s’imprimer dans la rétine : cela va nous faire tout drôle, cet après-midi, de ne pas voir Julian Alaphilippe dans un maillot jaune, de ne pas voir Egan Bernal dans un maillot blanc, de ne pas voir Thibaut Pinot dans un maillot… de ne pas voir Thibaut Pinot.

La déception qui a pu gagner le supporter français hier doit être atténuée par la certitude d’avoir vécu un pur moment d’histoire du Tour. Hier, Thibaut Pinot a perdu. Julian Alaphilippe a perdu. Egan Bernal a pris le maillot jaune. Le Tour de France a gagné.

« Faites que j’aie toujours le maillot jaune sur les épaules en ouvrant les yeux. » / JEFF PACHOUD / AFP

PS : Saluons la loyauté des journalistes de France Télévisions, qui savaient depuis longtemps que c’était cuit pour Thibaut Pinot, mais n’ont pas fait fuiter avant l’étape de vendredi ces images saisissantes du coureur français en détresse, qu’ils ont pu suivre pendant tout le Tour.

PPS : Le moment où Egan Bernal percute.