« Nous avons une bonne mémoire et nous pouvons toujours jouer de bonnes chansons », promet Oussou Njie, dit Senior, chanteur et parolier des Super Eagles. Lui et Badou Jobe, qui vit aux Pays-Bas, sont les deux membres encore en vie du célèbre groupe de Banjul qui faisait danser la Sénégambie à la fin des années 1960. Leur courte carrière a fait naître deux autres formations essentielles dans le répertoire gambien : Ifang Bondi puis Guelawar Band Of Banjul dont sont issus Bai Janha (guitare) et Abdel Kabirr (chant et clavier).

Ces vétérans d’une glorieuse époque où la musique gambienne s’exportait doivent partir le 3 août pour une tournée estivale. Abdel Kabirr, aujourd’hui âgé de 69 ans, y voit l’opportunité d’une mission : montrer la voie à la nouvelle génération de musiciens en faisant renaître la gloire des maestros gambiens, icônes du « swinging Banjul ».

Coup d’Etat manqué

Les premières stars ont été les Super Eagles, découverts en 1968 par un envoyé spécial de la BBC. Le reporter, qui était venu couvrir l’enterrement d’un ministre, avait repéré le groupe lors d’un concert au Foyer français de Banjul. L’antenne culturelle de la diplomatie française était alors le lieu phare des nuits gambiennes. « Banjul, c’était comme une grande Mecque, se souvient Oussou Njie. Les Sénégalais venaient le week-end, il y avait de l’ambiance, de la musique, de la gaieté partout. Aujourd’hui, c’est à pleurer. Il n’y a plus rien. »

En 1969, les musiciens sont invités à jouer dans les locaux de la BBC à Londres. Ils en profitent pour enregistrer leur unique « LP » (long play, un long enregistrement) pour Decca Records. Le répertoire est composé de chansons originales chantées en wolof (Manda Ly) et en anglais (Love’s Real Thing). De sillon en sillon, le vinyle joue de la rumba, du tango ou du rock, « tout pour faire danser jusqu’à l’aube », vante Oussou Njie. Aujourd’hui, un exemplaire en bon état de « Viva Super Eagles » coûte environ 100 euros sur la plateforme de vente en ligne spécialisée Discogs.

Le groupe éclate en 1971. Le riche manager qui les finance réalise que l’aventure n’est pas rentable. Les Super Eagles ne touchent aucun droit d’auteur. « Ils étaient bons en musique mais mauvais en affaires. Ils ne connaissaient rien à l’industrie du disque », raconte Hassoum Ceesay, conservateur du Musée de Banjul et historien du groupe. Populaires mais sans le sou, certains membres préfèrent rester en Europe pour essayer de gagner leur vie.

L’appétit musical d’une poignée de rockeurs fait naître successivement les groupes Ifang Bondi puis Guelawar Band of Banjul dans les années 1970. Ces deux formations composent un son typiquement gambien où les instruments traditionnels appuient un rock progressif et psychédélique. Très populaires, elles seront, elles aussi, éphémères.

De ces succès aurait pu naître une scène musicale pérenne, voire une industrie. Malheureusement les soubresauts de l’histoire locale ont brisé les rêves des artistes. Lors du coup d’Etat manqué de 1981, certains musiciens sont tués, d’autres sont emprisonnés ou fuient le pays. Le couvre-feu impose aux music-halls de fermer à 19 heures. Autrement dit, fini de jouer. Les musiciens les plus déterminés continueront leur carrière en solo.

Petite Jamaïque

L’échec de la musique gambienne sur la scène internationale s’explique aussi par un manque de moyens et un désintérêt des pouvoirs publics. « Nous sommes nés dans un pays où les responsables politiques ne connaissent rien à l’art », fulmine Abdel Kabirr.

Mais « en Gambie, ce sont de vraies légendes ! », confirme Modou Mbaye qui accompagne le groupe au clavier avec trois autres recrues. A l’origine, ce musicien de 30 ans n’est pas un inconditionnel des pionniers gambiens. Modou est venu à la musique pour jouer le mbalax, style énergique et très populaire au Sénégal. Sa génération vibre également au son du reggae dans ce pays qualifié de petite Jamaïque. Ce sont pourtant ces anciennes gloires qui lui permettront de participer à sa première tournée internationale.

Super Eagles ----- Love's a real thing
Durée : 03:00

Leur voyage en Europe du Nord est organisé par des associations de la diaspora. La tournée doit les emmener en Norvège, en Suède, au Danemark et peut-être en Allemagne. Oussou Njie n’est pas encore une scène mais il a déjà un mot pour les futurs spectateurs : « Nous les remercions de se souvenir que nous sommes toujours en vie ». La dernière fois qu’il a joué le répertoire des Super Eagles, c’était en Angleterre, dans les années 1970. Pour lui, cette tournée est un voyage dans le temps : « Je ne sais même pas à quoi ressemble l’Europe aujourd’hui ! »