Egan Bernal, de l’équipe Ineos, vainqueur du Tour de France 2019, entouré à sa droite de son coéquiper Geraint Thomas, classé deuxième, et de Steven Kruijswijk (Jumbo-Visma), qui termine troisième. / STEPHANE MANTEY / AFP

Editorial du « Monde ». Autre maillot, autre visage, autre scénario, mais même résultat : l’équipe Ineos, ex-Team Sky, a de nouveau remporté le Tour de France, dimanche 28 juillet. En plaçant le Colombien Egan Bernal et le Gallois Geraint Thomas aux deux premières places, Ie groupe réédite le doublé réalisé il y a sept ans avec Bradley Wiggins et Christopher Froome, qui marquait le début de la suprématie de l’équipe britannique. Depuis sept ans, seul le Tour 2014, que Christopher Froome avait quitté sur chute, a échappé à une emprise sportive et financière, qui finit par peser sur l’attractivité de l’épreuve.

Cet été, Ineos était pourtant privée de son leader, Christopher Froome, quadruple vainqueur de l’épreuve, écarté après une grave chute. Cette absence a pu donner un temps l’illusion d’un suspense retrouvé, avant que le naturel revienne au galop, c’est-à-dire la victoire d’un membre de l’incontournable équipe.

Certes, l’enthousiasme a été de retour sur le Tour de France, mais il doit beaucoup à Julian Alaphilippe, qu’Ineos n’a jamais considéré comme une menace – le temps lui a donné raison. Mais la suprématie de l’équipe britannique risque de repartir de plus belle l’an prochain, alors qu’elle a désormais dans ses rangs les trois derniers vainqueurs de l’épreuve, dont aucun n’est pour l’instant prêt à s’effacer.

On peut gloser longtemps sur les secrets de la « méthode Sky-Ineos », mais l’argent est un facteur essentiel de sa réussite. Le budget de l’équipe Sky en 2018 était d’environ 42 millions d’euros, en hausse de 10 % en un an. C’est plus du double de ceux des meilleures équipes françaises, qui ambitionnent pourtant de rivaliser avec elle sur le Tour de France, grâce à leurs leaders respectifs, Romain Bardet (pour AG2R-La Mondiale) et Thibaut Pinot (Groupama-FDJ). Cet écart est accru par le poids des ­cotisations sociales, tandis que les poches de Jim Ratcliffe, fondateur du groupe pétrochimique dont la marque arbore les maillots de l’équipe, semblent sans fond à l’échelle du cyclisme.

Instaurer un plafond budgétaire

C’est cet argent qui a permis de signer un contrat de cinq ans – rarissime dans ce sport – avec Egan Bernal, pour un salaire extrêmement élevé, compte tenu de son inexpérience à l’époque. C’est cet argent qui a rendu possible, ces dernières années, l’embauche de jeunes grimpeurs d’exception, ou bien encore du récent vainqueur du Tour d’Italie, Richard Carapaz, qui rejoindra l’équipe en 2020. C’est cet argent, enfin, qui lui offre le luxe de confier des rôles de simples équipiers à des coureurs parmi les meilleurs du monde.

Cette hégémonie financière est une menace pour le Tour de France et pour le cyclisme en général. Depuis son élection à la tête de l’Union cycliste internationale (UCI), David Lappartient réfléchit à instaurer un plafond budgétaire, malgré les obstacles juridiques et l’opposition de certaines équipes. Christian Prudhomme, directeur du Tour, y est aussi favorable : il sait trop bien que ce qui a donné le sel de cette édition a été la fragilité très momentanée d’Ineos.

Cette réforme pourrait s’accompagner d’un mécanisme de redistribution d’une partie de l’argent des sponsors vers la base du peloton et les clubs qui, après avoir formé les futurs champions, restent les parents pauvres du cyclisme. L’UCI doit faire preuve de courage et de persuasion pour lancer cet aggiornamento, sans quoi l’épreuve reine de la discipline risque de continuer à tourner en rond au détriment du spectacle et de la glorieuse incertitude du sport.