Du zabbaan, elle en a longtemps gardé la saveur sur les lèvres, elle, la gamine de Mopti (Mali) qui courait les marchés les jours sans école, en quête du parfum de ces plantes sauvages. Avant-dernière d’une famille de sept enfants, elle connaissait par cœur le souk de sa ville, lieu magique où sa mère l’envoyait vendre du miel et des céréales et d’où elle rapportait des feuilles et des fleurs cueillies dans la nature par des femmes du cru.

Deux décennies plus tard, elle a popularisé le zabbaan, en mettant sa quintessence en bouteille et en baptisant de ce nom son entreprise de nectars haut de gamme. Cette liane de brousse et bien d’autres végétaux sauvages du Sahel, comme le quinqueliba, ou les feuilles de moringa, fournissent la substance, qui mêlée au gingembre ou aux menthes sauvages lui permettent de concocter des jus bio et équitables de très belle qualité. Des goûts inédits pour le consommateur français, traditionnels pour le buveur Malien.

Subtils mélanges

Même si son père, vétérinaire, l’imaginait docteur, Aïssata Diakité est restée fidèle à ses amours enfantines. Et à son désir de valoriser la flore du centre Mali. Une envie devenue encore plus pressante depuis que l’insécurité s’est installée sur ces terres, obligeant sa famille à les quitter pour se replier à Bamako, et à abandonner tout ce qui a fait l’enfance d’Aïssata.

« Mon bac en poche, je suis venue en France dans un lycée agricole pour étudier l’agrobusiness sans trop savoir ce que je ferai après », rapporte la jeune femme d’affaires. Une fois ce diplôme obtenu, Aïssata file en Grande-Bretagne compléter ses compétences par du marketing. On est en 2012, elle a 22 ans, et dans le fog londonien son horizon s’éclaircit soudain. Il lui devient évident qu’elle va lancer une marque de jus aux saveurs du Sahel. Un business qu’elle imagine d’emblée inscrit dans un écosystème de développement permettant aux petits paysans de Mopti de mieux vivre. Aujourd’hui, ils sont quelque 5 000 à être partenaires de sa start-up, Zabbaan. Elle les a intégrés dans l’association baptisée Zabbaan Equity & Development, afin d’accompagner les femmes de la zone rurale vers plus d’autonomie et d’indépendance et de favoriser l’éducation des enfants.

Ces plantes que les femmes cueillent souvent au lever du jour, lui arrivent à Bamako où ses employés les lavent, les trient, et les congèlent si nécessaire pour en disposer toute l’année. Dans son usine de l’ouest de la capitale malienne, mangue, goyave et tamarin, sont stockées à côté du zabbaan et des sacro-saintes feuilles de moringa. De subtils mélanges et des infusions secrètement dosées permettent de créer les saveurs dont seront remplies les 5 000 à 10 000 bouteilles produites quotidiennement. La plupart sont écoulées auprès d’entreprises clientes mais aussi, désormais, vers de nombreux points de vente. L’activité fait déjà travailler 35 personnes en direct et une trentaine d’autres en appui.

Tailleur ou boubou traditionnel

Ces boissons, conditionnées dans des bouteilles design, se sont imposées d’autant plus vite que la jeune femme a passé deux ans à « pitcher » son sujet pour décrocher des prix et des financements, décisifs au moment de se lancer. Dès 2014, elle est la première lauréate malienne du programme international techno-économique Entrepreneurs en Afrique piloté par l’agence Campus France. « Ces récompenses font partie de mon modèle », précise celle qui a obtenu des fonds du ministère français des affaires étrangères mais aussi de plusieurs autres bailleurs internationaux. « Cela m’a permis d’acheter des machines et de lancer un marketing direct que les entreprises ont apprécié », ajoute-t-elle. Très vite, elle a pu soigner la distribution au Mali, tout en exportant vers le Sénégal, la Côte d’Ivoire et la France.

« Nous sommes allés au Salon international de l’agriculture en 2018 à Paris, où notre succès a été immense en vente directe et où j’ai pu signer plusieurs nouveaux partenariats. » Désormais, on savoure ses jus à BMK Paris-Bamako, un restaurant africain du 10e arrondissement de Paris, mais aussi dès septembre dans les restaurants de la chaîne multiculturelle Poulet Braisé, en plus du commerce en ligne.

Si Aïssata est douée pour le business, elle a conscience que la partie n’est pas si simple à gagner pour les femmes. « Il faut faire attention à tout, objecte-t-elle, car on ne nous passe rien. » D’ailleurs, la jeune femme a embauché un homme pour aller conclure certains contrats dans des zones reculées où l’idée d’une patronne ne passe pas vraiment. En ville, elle oscille entre le tailleur et le boubou traditionnel, en fonction du lieu. « Quand on est une jeune femme, il faut brusquer la porte, certes, mais savoir où sont les limites », insiste-t-elle. Sage et fonceuse à la fois.