Devant le Parlement, à Londres, 25 juillet 2019. Dans une série de documents adoptés le 29 juillet, la Commission européenne souligne qu’il n’est pas facile pour les entreprises financières de pays tiers d’accéder au marché européen. / Hannah Mckay / REUTERS

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Union européenne (UE) a le sens du timing. Moins d’une semaine après l’accession au pouvoir de Boris Johnson, la Commission a adressé une nouvelle mise en garde implicite à Londres. Dans une série de documents adoptés le 29 juillet, elle souligne qu’il n’est pas facile pour les entreprises financières de pays tiers d’accéder au marché européen. Un argumentaire déjà bien connu mais ô combien puissant à l’égard d’un pays qui héberge l’une des principales places financières du monde.

Face aux journalistes, l’exécutif européen s’est défendu de vouloir mettre la pression au Royaume-Uni, qui deviendra un pays tiers au moment où il quittera l’UE. Le porte-parole de l’institution indique que les documents adoptés n’ont rien à voir avec le Brexit ; aucun d’eux ne citant d’ailleurs explicitement le Royaume-Uni. Mais pour plusieurs analystes, comme Nicolas Veron, économiste aux instituts Bruegel à Bruxelles et Peterson aux Etats-Unis, ce lien ne fait aucun doute. « Au Royaume-Uni, il y a eu une série de fantasmes depuis le début du Brexit sur le fait que le pays aurait droit à un régime spécial pour les services financiers. La Commission enfonce donc une nouvelle fois le clou et répète aux Britanniques qu’ils seront logés à la même enseigne que tous les autres pays tiers, à savoir le régime d’équivalence », explique-t-il.

Le régime d’équivalence permet à des services financiers de pays tiers – comme des fonds de pension, des assurances ou des banques – d’avoir directement accès au marché européen. Mais il est loin d’être automatique : un bilan publié lundi rappelle que la Commission bénéficie d’un pouvoir « discrétionnaire » pour octroyer de telles autorisations et pour les retirer. Chaque évaluation d’autorisation est faite « au cas par cas » en tenant compte notamment des risques que font peser sur l’UE les économies très connectées.

« Le système d’équivalence est devenu un outil politique »

Les priorités de l’UE, telles que la bonne gouvernance fiscale au niveau mondial et la lutte contre le blanchiment d’argent, servent aussi de boussole. Ce qui pourrait contrarier les plans de Boris Johnson, qui planifie de diminuer l’impôt des sociétés pour attirer des entreprises au détriment de l’UE ou de créer des ports francs (des zones où il est possible d’importer sans droits de douane des produits venant de l’extérieur de l’UE), pourtant identifiés le 24 juillet par la Commission comme « potentiellement vulnérables » au blanchiment d’argent.

Comme pour donner du poids à son discours, la Commission européenne a abrogé lundi les équivalences de cinq pays (Argentine, Australie, Brésil, Canada et Singapour) pour le secteur des agences de notation, au motif que ceux-ci ne respectaient plus les normes de l’UE. En 2017 déjà, sous la pression du Brexit, Bruxelles avait décidé de ne renouveler que pour une période très limitée dans le temps l’équivalence de la Bourse suisse, dans l’attente de progrès dans les négociations pour un accord cadre UE-Suisse. Celle-ci avait fini par expirer le 30 juin 2019.

« Cet exemple montre que le système d’équivalence est devenu un outil politique pour faire pression sur les pays tiers, une procédure unilatérale avec peu de possibilités d’appel », conclut Karel Lannoo, directeur général du Centre d’étude et de prospective stratégique. Voilà qui pourrait braquer Boris Johnson, alors que les discussions entre l’UE et le nouveau gouvernement britannique n’ont pas encore commencé.