Retour de pêche artisanale à Accra, le 21 juillet 2019. / NATALIJA GORMALOVA / AFP

Mercy Allotey, vendeuse de poisson, attend les clients sur le front de mer d’Accra. A l’horizon, les pirogues de pêche aux couleurs vives sillonnent inlassablement la côte de l’océan Atlantique.

Mais derrière la belle image de carte postale, les pêcheurs locaux peinent à remonter de belles prises dans leurs filets. La surpêche a dévasté les fonds marins. « Très souvent, quand ils partent en mer, ils n’attrapent rien, regrette la vendeuse. Notre pêche est gâtée ».

Les Nations unies estiment que 2 millions de personnes, soit 10 % de la population totale de ce pays d’Afrique de l’Ouest, dépendent de ce secteur. Le poisson génère en outre environ 60 % des protéines consommées par les Ghanéens.

Mais le nombre de poissons pêchés au large du Ghana a diminué quasiment de moitié en quinze ans, passant de 420 000 tonnes en 1999 à 202 000 tonnes en 2014.

Produits chimiques et dynamite

Les responsabilités sont partagées entre bateaux-usines, appartenant souvent à des compagnies chinoises qui ratissent les fonds de mer, et pratiques dévastatrices pour l’environnement de dizaines de milliers de petits pêcheurs qui tentent de compenser les pertes.

Dans une pratique connue localement sous le nom de saiko, qui était autrefois une manière de récupérer les « restes » des grands bateaux de pêche, les chalutiers ont développé un commerce extrêmement lucratif. Ils récupèrent en masse les poissons habituellement ciblés par les pêcheurs locaux – y compris la sardine et le maquereau – et les vendent aux communautés sur les rivages, via des intermédiaires.

Dans un rapport publié en juin, l’ONG ghanéenne Hen Mpoano et la Fondation pour la justice environnementale estiment qu’environ 100 000 tonnes de poissons ont ainsi été vendues en 2017, réduisant considérablement les possibilités d’emploi pour les Ghanéens. Cette pratique coûterait environ 50 millions de dollars par an à l’économie du pays.

Le Ghana se bat pour mieux surveiller le saiko, mais aussi lutter contre les techniques des pêcheurs locaux, telles qu’illuminer les eaux pendant la nuit pour attirer les poissons et les empoisonner avec des produits chimiques, ou les tuer avec de la dynamite.

Dans le but de reconstituer les stocks, le gouvernement a interdit la pêche « artisanale » en mai et juin et interdira les chalutiers le long de ses côtes en août et en septembre.

Mais tous les acteurs du secteur s’accordent à reconnaître qu’il en faudra plus pour remédier à la situation. « Le plus grand défi que nous avons est que tout le monde, jusqu’au plus petit pêcheur traditionnel, comprenne et applique les lois votées par l’exécutif », explique Emmanuel Kwafo, responsable de l’application de la loi sur la pêche dans la marine ghanéenne.

M. Kwafo participait fin juillet à une importante conférence maritime à Accra, qui a rassemblé des haut gradés des marines d’Afrique de l’Ouest pour débattre notamment des questions de la pêche illégale. Selon lui, il faut changer les mentalités en Afrique de l’Ouest, où la pêche illégale est encore perçue comme le seul moyen de joindre les deux bouts.

« Alors que si nous agissons comme il convient et respectons les législations, nous augmenterons nos chances de survie » sur le long terme, a-t-il expliqué.

« Tout le monde aura faim »

Amal-Deen Ali, directeur du Centre pour le droit et la sécurité maritimes en Afrique, basé à Accra, rappelle que le secteur de la pêche est « directement lié à la sécurité alimentaire, à la sécurité nationale et à la survie du Ghana en tant que pays ». Pour lui, la priorité est de se concentrer sur le fléau du saiko, mais aussi de faire appliquer les lois existantes sur la surpêche, les politiciens locaux ayant tendance à fermer les yeux sur ces pratiques pour satisfaire leur communauté.

Nii Quaye est un ancien pêcheur. Il travaille désormais comme porte-parole des revendeurs de poissons pour le district de Jamestown à Accra. Il mène des inspections et vérifie notamment que les prises n’ont pas été faites à base de produits chimiques ou d’explosion de dynamite, pratiques désormais sanctionnées par de lourdes peines selon une nouvelle loi qui n’est pas encore entrée en vigueur.

« Si on envoie cinq personnes en prison pour trois ou six mois parce qu’elles ont utilisé des produits chimiques, la nouvelle va se propager et je pense que tout va s’arrêter rapidement », a-t-il déclaré. Si rien n’est fait, dans quelques années, il n’y aura plus de poisson. Et tout le monde à Jamestown aura faim. »