La Sierre-Léonaise Grace Camara a créé RemitFund. / REMI SCHAPMAN

« L’union fait la force, la division la faiblesse. » Ce proverbe universel, Grace Camara en a fait sa devise après l’avoir elle-même éprouvé. Tout enfant, cette fille de réfugiés dont les parents ont fui le Sierra Leone en guerre dans les années 1960, a mesuré à Londres la force de l’entraide communautaire. Des années plus tard, c’est encore sur la puissance du panafricanisme qu’elle mise, tablant sur la volonté des Africains des quatre autres continents d’aider ceux qui sont restés et ont envie de faire bouger leur terre d’origine.

Son idée est simple. La Banque mondiale évalue à près de 40 milliards d’euros les envois annuels d’argent de la diaspora vers l’Afrique subsaharienne. Cette aide, nécessaire à la survie des familles sur place, pourrait aussi stimuler l’économie du continent si un petit pourcentage allait vers des projets de développement. Grace Camara a donc monté RemitFund, le Fonds d’investissement de la diaspora (ADIF) sur lequel chaque envoyeur d’argent peut verser une partie des fonds pour appuyer des initiatives qui ne parviennent pas à se faire financer. Tous les projets contribuent à la préservation de la planète en même temps qu’ils boostent l’Afrique, car Grace Camara choisit les dossiers en fonction de leur impact social et environnemental.

« Catalyseur »

Rien ne prédestinait cette Londonienne à se tourner vers la finance responsable. « En fin de lycée, j’étais déjà attirée par l’aide internationale, mais en tant que fille de réfugiés, j’ai rassuré mes parents en faisant des études de droit », rappelle la jeune femme, une pointe de regret dans la voix. De fil en aiguille, Grace Camara est devenue avocate et a exercé pendant cinq ans, mettant ses compétences juridiques au service d’ONG.

« J’ai aimé ce travail, mais je me suis rapidement rendu compte qu’aussi bienveillante soit-elle, l’approche des ONG restait assez néocoloniale, analyse aujourd’hui la juriste. Je traînais avec moi cette insatisfaction de ne pas aider l’Afrique comme je l’entendais, sans vraiment savoir comment inventer une autre forme d’appui quand mes jumelles sont nées, en 2015. Et curieusement, ces naissances ont été un catalyseur. Mon temps est devenu précieux au point que je ne concevais plus de faire autre chose professionnellement qu’une activité à impact fort. »

Très vite germe en elle ce projet de récupérer un peu d’argent des diasporas, parce qu’il lui permettrait de faire avancer des centaines d’initiatives et de belles idées auxquelles les banquiers classiques ne croyaient pas. « On allait enfin rendre l’Afrique aux Africains en conscientisant leur diaspora sur le rôle important qu’elle peut avoir en termes de développement », souligne l’entrepreneuse de 39 ans.

« Effet sur le terrain »

En la matière ce ne sont pas les exemples qui manquent. Grace Camara prend celui du textile et s’arrête sur la styliste Sydney Davies, qui ne parvient pas à trouver de financement pour ouvrir une usine en Sierra Leone. « Vous avez bien entendu : cette créatrice formée par Alexander McQueen, dont le nom est hyperconnu à Londres, n’arrive pas à ouvrir une unité de production dans son pays d’origine, qui est aussi le mien, la Sierra Leone », insiste la financière.

Bien sûr, les coûts de fabrication y seront le double du Bangladesh, mais ce projet créera 50 emplois dans un village et changera du tout au tout la vie du lieu. « Cela s’appelle un investissement éthique. Ces petits projets ne nécessitent pas de millions de dollars, mais les banquiers les refusent car il faudra attendre dix ans pour un retour sur investissement. Or nous savons tous que l’effet sur le terrain, lui, sera bien plus important que l’argent gagné à terme », insiste Grace Camara.

En créant de l’emploi, ces initiatives peuvent contribuer à retenir la jeunesse et les cerveaux en Afrique. Un enjeu énorme pour le continent. Une simple fraction des transferts de fonds de la diaspora pourrait ainsi permettre d’écrire l’histoire autrement. De cela, Grace Camara est certaine et en a tellement bien convaincu le jury de WIA, le Women in Africa, qu’elle est non seulement dans la liste des 54 lauréates de l’édition 2019, mais elle fait aussi partie des sept « Révélations », les plus particulièrement distinguées par cette plate-forme d’accompagnement des entrepreneuses africaines à haut potentiel. Déjà huit personnes travaillent avec elle et le nombre de projets financés ne cesse d’augmenter.

Sommaire de notre série Ces femmes d’affaires qui mettent l’Afrique en boîtes

Du Cameroun au Mali en passant par le Sénégal et la Sierra Leone, le Monde Afrique vous emmène à la rencontre de quelques-unes de ces femmes entrepreneuses qui n’azttendent pas de trouver un emploi salarié pour faire bouger leur communauté et leur continent.