Un vol avec une ou plusieurs correspondances ayant fait l’objet d’une réservation unique constitue un ensemble. / VALERY HACHE / AFP

En 2013, onze personnes réservent, auprès de la compagnie Ceske Aeroline, un vol de Prague (République tchèque) à Bangkok (Thaïlande), avec une correspondance à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Le premier avion, affrété par la compagnie européenne, arrive dans les temps à Abou Dhabi. Mais le deuxième arrive avec plus de huit heures de retard à Bangkok. Il n’a pas été affrété par Ceske Aeroline, mais par Etihad Airways, compagnie nationale des Emirats arabes unis, dans le cadre d’un accord de « partage de code » ou codeshare, partenariat qui permet à une compagnie de vendre des places sur les avions d’une autre.

Etihad Airways n’étant pas une compagnie européenne, et le point de départ de son vol n’étant pas situé dans l’Union européenne, les voyageurs ne peuvent lui demander qu’elle leur verse l’indemnisation prévue, en cas de retard de plus de trois heures (600 euros, en l’occurrence), par le règlement européen 261/2004, sur les droits des passagers aériens. Ils s’adressent donc à Ceske Aeroline.

Transporteur effectif

Cette dernière refuse de payer, au motif que ce n’est pas elle qui a opéré le second vol : elle était le transporteur « contractuel », et non le transporteur « effectif ». Or, le règlement 261/2004 prévoit que le transporteur qui paie l’indemnité aux passagers en retard est le transporteur effectif.

Les passagers assignent Ceske Aeroline et obtiennent gain de cause, en première instance puis en appel, devant les tribunaux tchèques, qui considèrent que la situation du second vol est analogue à celle d’une « sous-traitance ».

Ceske Aeroline dépose alors un recours devant la Cour constitutionnelle, en expliquant que la Cour fédérale allemande, dans une affaire similaire, a jugé que la responsabilité du transporteur contractuel ne pouvait être engagée, du fait qu’il n’était pas le transporteur effectif. La Cour constitutionnelle tchèque renvoie les parties devant la cour municipale de Prague, à laquelle elle demande d’examiner les arguments de Ceska Aeroline. Cette juridiction sursoit à statuer, le temps que la Cour de justice de l’Union européenne l’ait éclairée.

Un même ensemble

La Cour de Luxembourg, qui rend son arrêt (C-502/18) le 11 juillet (2019), observe d’abord, que, selon sa propre jurisprudence (Wegener contre Royal Air Maroc, C‑537/17), un vol avec une ou plusieurs correspondances ayant fait l’objet d’une réservation unique constitue un « ensemble ». Le second segment du trajet ne constitue donc pas une opération de transport séparée ; il fait partie d’un ensemble auquel, en l’occurrence, le règlement européen s’applique, puisque son point de départ se trouve dans un Etat membre.

La Cour se demande ensuite si Ceske Aeroline peut être considérée comme un transporteur effectif. Elle constate qu’aux termes du règlement (article 2 b, définitions), le transporteur effectif est celui « qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol, dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passage ».

Offre de transport

La Cour rappelle que, dans son arrêt Wirth contre Thomson Airways (C-532/17), elle a jugé que celui qui « réalise » le vol est celui « qui prend la décision » de l’opérer, « y compris d’en fixer l’itinéraire, et, ce faisant, de créer, à l’intention des intéressés, une offre de transport aérien ». Or, Ceske Aeroline a bien pris la décision d’opérer l’ensemble du voyage ; elle en a fixé l’itinéraire, avant de sous-traiter la deuxième partie à Etihad Airways, au moyen d’un accord de partage de code. Elle a donc « effectivement réalisé un vol, dans le cadre du contrat de transport conclu avec les passagers en cause ».

Par conséquent, elle doit « être qualifiée de transporteur effectif » et elle est redevable de l’indemnité. La Cour de justice précise que « le transporteur aérien effectif ayant réalisé le premier vol ne peut se retrancher derrière la mauvaise exécution du vol ultérieur » pour ne pas indemniser le passager, mais qu’il pourra ensuite se retourner contre le transporteur auquel incombe la responsabilité du retard.

Avec cet arrêt, la Cour de justice étend la jurisprudence protectrice des droits des passagers aériens, qu’elle a construite depuis l’arrêt Sturgeon du 19 novembre 2009, à ceux qui ont des correspondances dans le cadre d’un accord de partage de code. S’ils sont victimes de retard à l’arrivée d’un vol avec correspondance opéré par plusieurs compagnies, mais ayant fait l’objet d’une réservation unique, ils pourront s’adresser à celle qui leur a vendu les billets, pour être indemnisés.