Le président brésilien, Jair Bolsonaro, lors d’une conférence de presse sur la déforestation en Amazonie, le 1er août. / Eraldo Peres / AP

Il avait promis de tenir bon, mais, face à la fureur de Jair Bolsonaro, a fini par plier, quitte à aggraver la tragédie environnementale en cours au Brésil. Vendredi 2 août, à l’issue d’un entretien à Brasilia avec Marcos Montes, son ministre de tutelle, à la tête des sciences et de la technologie, le directeur de l’Institut national de recherches spatiales (INPE), Ricardo Galvão, a annoncé son départ. « Mon propos sur le président a suscité de l’embarras, je serai donc exonéré de mes fonctions », a-t-il annoncé, évoquant une situation de « perte de confiance ».

Le directeur de l’INPE, institut chargé, notamment, de divulguer les chiffres sur la déforestation amazonienne, était dans le viseur du chef de l’Etat depuis plusieurs semaines. Jair Bolsonaro a peu apprécié que l’organisme fasse état au grand jour de l’ampleur de la destruction de la forêt native brésilienne, divulguant mois après mois des données chaque fois plus effrayantes : 739 km2 de forêt détruits en mai, soit une hausse de 34 % par rapport au même mois l’année passée ou l’équivalent de deux terrains de football rasés chaque minute, puis 920 km2 en juin (+88 %) et encore 1 864 km2 en juillet (+212 %). « Un cauchemar », souffle une source au sein de l’Observatoire du climat, ONG environnementale brésilienne.

Après avoir été tancé par la France et l’Allemagne lors du G20 d’Osaka au Japon, en juin au sujet de l’environnement, le président avait assuré qu’il respecterait l’accord de Paris sur le climat, condition sine qua non de la conclusion d’un accord de libre-échange entre les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) et l’Union européenne.

L’INPE offre, avec ses estimations, un démenti cinglant aux promesses présidentielles, en mettant en évidence la négligence, si ce n’est la complaisance, de Jair Bolsonaro envers les criminels de l’environnement. Agacé, mis en défaut, le leader de l’extrême droite brésilienne a d’abord mis en doute les chiffres, qualifiés de « mensongers », avant d’attaquer le directeur, accusé « d’être au service d’une quelconque ONG ». Son ministre de l’environnement, Ricardo Salles, suspecté d’être à la solde du lobby des entreprises minières, a insisté en expliquant lors d’un entretien à la chaîne d’informations continues GloboNews, le 26 juillet, que les chiffres de l’INPE étaient certes corrects mais « mal interprétés ».

Après avoir défendu la justesse des analyses de l’INPE, qualifié le chef d’Etat de couard et de belliqueux et juré de ne pas démissionner, Ricardo Galvão a finalement dû céder. « Le renvoi de Ricardo Galvão est regrettable, mais attendu. Il a scellé son destin en refusant de se taire face aux accusations atroces de Jair Bolsonaro envers l’INPE. (…) Bolsonaro et Ricardo Salles se lancent dans une attaque acharnée, autoritaire et menteuse contre la science de l’INPE. (…) Bolsonaro et son ministre de l’environnement vont découvrir qu’il est inutile de tuer le messager ou de truquer l’INPE : le seul moyen d’éviter les mauvaises nouvelles concernant la déforestation est de la combattre », a réagi dans une note l’Observatoire du climat.

« Bolsonaro sait que son gouvernement est le principal responsable de la destruction actuelle de l’Amazonie. Le licenciement du directeur de l’INPE n’est qu’un acte de vengeance à l’encontre de ceux qui montrent la vérité », a insisté Marcio Astrini, coordinateur des politiques publiques chez Greenpeace.

Croisade contre la préservation de l’environnement

N’écoutant que son électorat le plus radical, Jair Bolsonaro confirme avec le départ de M. Galvão sa croisade contre la préservation de l’environnement, au nom, selon lui, du développement économique. Après avoir démantelé les organismes chargés de verbaliser les crimes environnementaux, il a affirmé qu’il comptait ouvrir les terres indigènes d’Amazonie à l’exploitation minière et légaliser l’orpaillage pourtant accusé de polluer les fleuves au mercure. Avec sa ministre de l’agriculture, Tereza Cristina, surnommée la « musa do veneno » (« la muse du pesticide »), il a également validé l’usage massif de pesticides hautement toxiques pour les hommes et les sols tout en modifiant la réglementation sanitaire afin d’afficher une moindre dangerosité.

« L’Amazonie est à nous », a clamé le président à la fin de juillet, ignorant que la planète est en surchauffe et que son pays regorge d’un patrimoine stratégique pour l’avenir du monde. « L’Amazonie est comme une vierge que tous les pervers convoitent », a-t-il insisté, se disant persuadé que la pression internationale n’est qu’une manipulation ourdie pour faire main basse sur les richesses naturelles de la région.

Jair Bolsonaro imagine que son attitude pourrait faire décoller le pays englué dans une crise sans fin depuis 2015. En réalité, son action pourrait miner l’avenir écologique du pays mais aussi son pouvoir économique, en épuisant ses sols, en stimulant le réchauffement climatique, en aggravant les sécheresses et catastrophes climatiques et en empêchant l’industrie et l’agriculture de se moderniser.

« Les Brésiliens devraient faire pression sur leur président pour inverser le cours des choses. Ils ont été bénis par un patrimoine planétaire unique, dont la valeur intrinsèque et durable est bien plus que commerciale. Le laisser périr serait une catastrophe inutile », écrit le quotidien britannique The Economist, le 1er août, titrant en une : « L’agonie de l’Amazonie ».