Musée du Quai Branly, les trésors des rois du Dahomey, le 28 juin 2018. / GERARD JULIEN / AFP

« Je suis frustrée, déçue et humiliée. Demander à la France qu’elle retarde la restitution de nos œuvres d’art est une atteinte à notre fierté, à notre histoire. Les Béninois les attendent. » Celle qui parle est passionnée d’art et vit à cheval entre la France et le Bénin. Depuis des années, Marie-Cécile Zinsou se bat pour le retour du patrimoine africain sur ses terres séculaires. Alors évidemment, elle bouillonne quand Porto-Novo demande à Paris d’attendre encore un peu dans ce feuilleton qui traîne depuis déjà bien trop longtemps à son goût.

Tout récemment, le directeur de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et du tourisme (ANPT) béninoise, José Pliya, a fait savoir que le retour des 26 objets du patrimoine béninois, pillés lors du sac des Palais des rois d’Abomey par des troupes coloniales françaises en 1892, n’était pas urgent. « A la proposition française, notre réponse, c’est patience, gardez-les encore un petit peu le temps que nous soyons vraiment prêts », a-t-il déclaré à l’AFP le 17 juillet. Le ministre français de la culture, Franck Riester, venait d’annoncer quelques jours plus tôt le retour « rapide » de ces trésors. Des totems et sceptres royaux qui, précisait-il, devaient « pouvoir être vus, admirés et étudiés au Bénin » sans même attendre l’adoption d’une loi censée entériner formellement cette restitution.

Le début du feuilleton remonte à juillet 2016. Le président, Patrice Talon, juste élu, demande officiellement à la France le retour des biens pillés. En décembre, le gouvernement socialiste retoque cette demande juridiquement inconcevable, arguant de l’inaliénabilité des collections publiques françaises. Mais un an plus tard, le locataire de l’Elysée a changé. Lors de son discours de Ouagadougou (Burkina Faso), Emmanuel Macron, lui, promet, des « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain » d’ici à cinq ans. Au moins 90 000 objets d’arts subsahariens sont aujourd’hui dans les collections des musées français, dont 70 000 au Quai-Branly. S’ensuivent le rapport commandé à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr qui préconisent noir sur blanc ces retours et la décision du chef de l’Etat, pour donner des gages, d’accélérer la restitution des 26 pièces béninoises explicitement réclamées.

« Pas besoin de construire un musée »

Ce qui, dans ce débat, octroie à ces œuvres un poids spécifique. Ce qui fait aussi qu’Emmanuel Macron veut avancer vite alors que désormais le Bénin n’en veut plus tout de suite… Officiellement, le pays vient tout juste d’obtenir de l’Unesco la construction d’un nouveau musée dans l’enceinte des palais d’Abomey, ancienne capitale du Dahomey. « Les travaux vont commencer au quatrième trimestre de cette année et la durée des travaux sera de deux ans. Donc, pour nous, le retour de ces objets [est prévu] pour l’inauguration de ce musée à l’automne 2021 », a expliqué le directeur de l’ANPT à l’AFP.

Mme Zinsou estime pour sa part nécessaire de battre le fer quand il est chaud et a déjà observé comment le principe de restitution s’est mué en « des prêts, des dépôts à long terme, des expositions et des échanges », sans forcément passer par un transfert de propriété, comme l’a indiqué le ministre de la culture, Franck Riester en décembre 2018, pondérant le contenu du rapport Savoy-Sarr. L’entrepreneuse, présidente de la Fondation Zinsou, consacrée à l’art contemporain, rêve donc de voir ces œuvres regagner rapidement Cotonou. Face aux atermoiements des autorités béninoises, elle estime que « c’est comme si le Bénin avait demandé cette restitution en pensant qu’elle ne se ferait jamais ». Et d’ajouter : « Pas besoin de construire un musée. Il suffit de rénover un espace ou un bâtiment pour qu’il soit adapté aux œuvres. Cela prend trois mois. »

Mme Zinsou sait de quoi elle parle puisque, en 2006, Jacques Chirac avait accepté cette circulation d’œuvres et lui avait permis d’organiser une exposition, « Béhanzin, roi d’Abomey », à Cotonou. « J’avais été prévenue le 31 juillet, se souvient la fille du banquier d’affaires Lionel Zinsou. Le 16 août, nous commencions les travaux et le 16 décembre l’exposition ouvrait », rappelle l’historienne de l’art qui a vu défiler 275 000 Béninois venus admirer ces pièces exceptionnelles.

Trône des rois du Dahomey, le 18 juin 2018, au Musée du Quai Branly, à Paris. / GERARD JULIEN / AFP