En matière de romans pour adolescents, la fin août et le mois de septembre s’annoncent riches en publications. Et si l’été était l’occasion de s’offrir un petit rattrapage des belles sorties de l’année ? Voici trois romans et une réédition à ne pas manquer avant de se plonger dans la rentrée littéraire.

« Nous sommes l’étincelle », enfants de la révolution

« Nous sommes l’étincelle », de Vincent Villeminot.

Dan et ses sœurs Montana et Judith sont des enfants de la forêt. Leurs mouvements se calquent sur les pulsations de la nature, ils sont agiles, ils semblent libres. Mais le danger les guette constamment, à commencer par la traque de braconniers sans foi ni loi. En parcourant les premières pages, le lecteur ne sait pas encore si cette fratrie d’enfants sauvages évoluant au cœur d’un épais bois français appartient au passé ou à un futur dans lequel les humains seraient retournés à la nature.

Dans les chapitres suivants, bâtis comme un récit choral qui passe de cités étudiantes ultramodernes et surveillées aux tribulations de hooligans aux abords de stades de foot, Vincent Villeminot imagine qu’en 2025 de jeunes citoyens français décident de se mettre en marge de la société pour s’y inventer une vie collective plus désirable. Une dissidence pacifiste et sans réclamation inadmissible pour l’Etat.

L’auteur, visiblement influencé par Thomas More et Henry Thoreau, questionne sur le long terme les utopies compte tenu des comportements humains et de l’instinct de survie. Ce n’est qu’à son crépuscule que cet éblouissant roman trouve tout son sens : les révolutionnaires d’aujourd’hui sont seulement l’étincelle. Ce sont leurs héritiers qui bâtiront. Ce livre intemporel est aussi le fruit de son époque, celle du changement climatique, des « gilets jaunes », de la surconnexion… Une œuvre ambitieuse et inattendue, qui se révèle un nécessaire écho à nos doutes contemporains.

Nous sommes l’étincelle, de Vincent Villeminot, éditions PKJ, 512 pages, 18,90 euros.

« De sang et de rage », allégorie de la condition noire

« De sang et de rage », de Tomi Adeyemi.

C’est un best-seller américain sorti dans une relative indifférence chez nous en mai dernier. Pourtant, De sang et de rage ouvre une trilogie de fantasy africaine, genre plutôt rare dans les rayons ados. Ce premier roman de l’autrice américano-nigériane Tomi Adeyemi, 26 ans, mêle une culture de l’Afrique de l’Ouest qui repose sur le culte des orishas, celle des Yorubas, avec des thématiques contemporaines, comme le racisme, les discriminations et la brutalité policière. En résulte une formidable fresque d’aventures dans un monde où un peuple, les Maji, est opprimé et privé de ses pouvoirs surnaturels par un groupe dominant. Zélie, une adolescente descendant de cette ethnie, qui découvre très vite les injustices dont souffrent les siens, va tout faire pour restaurer la magie de ses ancêtres. Une violence quasi quotidienne qui nourrit cette femme en devenir dont l’instinct de rébellion ne cesse de se heurter à la peur qu’elle ressent pour sa famille.

« Pour faire simple c’est Black Panther avec de la magie », décrivait Tomi Adeyemi sur le plateau du « Tonight show » de Jimmy Fallon en 2018, pour indiquer la résonance sociale de son œuvre de fantasy, écrite à l’heure du mouvement Black Lives Matter. Mais la romancière offre bien plus qu’une fiction qui transporte des problématiques de société bien réelles : un monde fantastique grisant, regorgeant de détails culturels ainsi qu’un casting de personnages bien travaillés et enthousiasmants. Une œuvre dont les critiques américains parient volontiers qu’elle se hissera au rang de saga culte.

De sang et de rage, de Tomi Adeyemi, traduit de l’anglais par Sophie Lamotte d’Argy, éditions Nathan, 560 pages, 18,95 euros.

« Cogito », méninges du futur

« Cogito », de Victor Dixen.

Aux origines de ce livre à l’édition soignée, dont le titre est emprunté au fameux « Je pense, donc je suis », de Descartes, le questionnement du romancier franco-danois Victor Dixen sur ce qu’il appelle « la révolution de l’intelligence artificielle » et la philosophie de la conscience. L’auteur de la très acclamée saga Phobos s’interroge en effet sur l’avenir que se construit l’homme par la technologie. Finalement, ce ne sont pas tant les conclusions de l’auteur en matière de robots intelligents que l’on retient, mais son talent pour mettre en scène ses interrogations à travers une satire sociale futuriste.

Les quelque 500 pages du roman s’étalent sur une semaine, celle du stage « science infuse », durant lequel une promotion d’élèves de terminale est retenue par Noosynth, un géant de la tech, pour qu’ils deviennent les cobayes d’une expérience de programmation neuronale lors d’un séjour dans un archipel paradisiaque. Ce protocole très controversé qui consiste à leur injecter des milliers de nanorobots dans le cerveau permet de leur implanter un puits sans fond de connaissances afin qu’ils puissent briller au bac. Un enjeu crucial dans une société où la majeure partie des travailleurs a été remplacée par des robots de Noosynth, les contraignant à des tâches subalternes. Les places les plus gratifiantes sont réservées à ceux qui ont réussi ou qui en ont les moyens financiers.

Roxane, l’héroïne et l’une des candidates, ne fait pas partie de l’élite. Les parents de cette jeune délinquante ont dégringolé de l’échelle sociale après la perte de leur emploi, et son avenir s’avère peu radieux. Sans guère d’hésitation, elle accepte donc la bourse proposée pour participer à l’expérience. Après tout, elle n’a rien à perdre, sinon l’estime d’elle-même en devant affronter le mépris des gosses de riches et courber l’échine face à un conglomérat opaque et intrusif. Que reste-t-il de la liberté et du libre arbitre quand on a été reprogrammé ? Qui sommes-nous quand notre vie, comme la société entière, repose sur une entreprise superpuissante ?

Maestro des huis clos adolescents, Victor Dixen offre un récit bien ficelé, qui gagnerait encore plus en puissance si certains personnages ou certaines technologies dont il est question ici ne frisaient parfois la caricature.

Cogito, de Victor Dixen, éditions Robert Laffont, 544 pages, 19,90 euros.

Une réédition : la saga virale « U4 »

« U4 », tétralogie de Carole Trébor, Florence Hinckel, Yves Grevet et Vincent Villeminot.

Dans la littérature adolescente contemporaine, le récit postapocalyptique est presque une figure imposée. Les auteurs de U4, eux, en ont fait un ballet. U4, c’est le nom d’un virus qui s’est propagé en Europe en quelques jours avant de décimer 90 % de l’humanité, et auquel, sans qu’on sache vraiment pourquoi, seuls les adolescents d’entre 15 et 18 ans survivent. Certains d’entre eux, qui se connaissaient avant la catastrophe grâce à un jeu vidéo en ligne, vont tenter de traverser la France pour se rejoindre, à l’insu des camps de survivants et de l’embryon d’armée qui continue de sécuriser le territoire.

Dans cette saga made in France, les écrivains Carole Trébor, Florence Hinckel, Yves Grevet et Vincent Villeminot proposent chacun un roman lié à cet univers. Des livres indépendants mais complémentaires qui vont suivre chacun le périple d’un adolescent : Koridwen, Yannis, Jules ou Stéphane, qui donnent leur nom à chaque tome. Cette narration croisée captivante n’est pas sans rappeler La Route, de Cormack McCarthy, ou le film 28 jours plus tard, de Danny Boyle, mais offre une véritable liberté au lecteur, qui pourra dévorer un seul ouvrage ou les quatre volumes dans l’ordre de son choix. Cette série, qui a connu un joli succès lors de sa sortie initiale en 2015, avant de devenir un incontournable de la littérature ado francophone, est aujourd’hui proposée en format poche.

U4, tétralogie de Carole Trébor, Florence Hinckel, Yves Grevet et Vincent Villeminot, PKJ poche, 456 pages, 7,90 euros.