Le bruit des boules métalliques qui s’entrechoquent donne le tempo. Sur un vaste terrain en terre rouge, on retient son souffle, on pointe et on tire. « Allez champion, il faut gagner ! », crie un joueur en maillot jaune à son coéquipier. Car ici, la pétanque, « c’est du sérieux ». Pas de platanes, de tongs et encore moins d’apéritif anisé. Mais quelques sachets d’eau et surtout une tenue de sport « exigée » : pantalon, tee-shirt et baskets sont de rigueur. « Quand on joue, on n’a pas le droit de boire d’alcool, de fumer ni de téléphoner, il faut rester concentrés », rappelle Aboubakary Guiro l’organisateur des tournois de la ligue régionale qui se déroulent chaque week-end dans la capitale.

« Vous avez vu la foule ? », glisse-t-il, en actualisant son organigramme géant des rencontres entre équipes. Ce dimanche 14 juillet, plus de 200 boulistes ont investi la cour d’une école du quartier de Song-Naba, à Ouagadougou, pour « l’amour du jeu », mais aussi pour « rêver un peu » et tenter de décrocher le premier prix : 100 000 francs CFA (150 euros), ce qui n’est pas rien au regard du smig qui s’élève à 32 218 francs CFA (49 euros).

« Comme Dylan Rocher »

Dans la foule, un jeune homme se prépare à affronter sa deuxième équipe de la matinée. Avec son mètre quatre-vingt-trois, ses biceps et ses pectoraux d’athlète, Amadou Tamboura a plutôt le physique d’un joueur de basket-ball. Pourtant, son sport, c’est la pétanque et il ne rate plus aucune rencontre depuis quatre ans. « J’ai découvert cette discipline enfant en regardant les vieux jouer dans le quartier, j’ai voulu essayer à mon tour et puis je suis tombé dedans », confie ce « pointeur » de 22 ans qui est aussi vendeur de rue et s’entraîne chaque soir de « 16 à 18 » avec des amis et voisins. Désormais le jeune Burkinabé rêve d’atteindre le niveau professionnel, de « jouer comme Dylan Rocher », le Français triple champion du monde.

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En arrière-fond, les enceintes crachent un coupé-décalé enflammé. « Allez on donne tout ! » encourage Bernard Congo, alias DJ Pétanque au micro. « Je suis là pour les ambiancer et les motiver à gagner, il faut tenir jusqu’à 18 heures, c’est fatigant avec cette chaleur », pointe-t-il, assis devant sa bouteille de bière locale à côté des traditionnelles vendeuses de riz gras et de poulet bicyclette. « Pas de pétanque le ventre vide ! », clame celui-ci, en riant.

A Ouagadougou, on mesure la distance du cochonnet avec les moyens du bord. Mais quand il y a litige, on sort le double décimètre. / SOPHIE DOUCE / LE MONDE

Les 35 °C à l’ombre ne font peur ni aux vieux ni aux jeunes. C’est d’ailleurs ce mélange des générations qui plaît. « Ça nous permet de nous rapprocher des anciens, j’écoute leurs conseils, ils m’apprennent la patience et la persévérance, c’est un sport intègre », remarque Amidou Sawadogo, étudiant en droit de 24 ans.

« A la pétanque, il n’y a pas d’âge ni de classe sociale, vous trouverez des mécaniciens, des commerçants, des fonctionnaires à jouer ensemble après leur journée », se félicite Aboubakary Guiro. « Et que des hommes ! », rétorque Aguératou Ganamé, la seule femme bouliste professionnelle du Burkina… A 35 ans, celle qu’on surnomme Adji la Redoutable tente de casser ce cliché. « Je m’y suis mise il y a six ans pendant mon congé maternité, on ne me prenait pas au sérieux au début, mais je me suis battue et c’est devenu une passion, un véritable mode de vie ! », s’amuse cette gérante d’un maquis (bistrot), qui ne se déplace jamais sans ses six boules de 680 grammes et son cochonnet sous la selle de son scooter. Son souhait le plus cher serait de former la première équipe féminine burkinabée et de se mesurer aux « meilleures joueuses françaises ».

A 35 ans, Aguératou Ganamé est la seule femme bouliste professionnelle du Burkina. Elle est surnommée Adji la Redoutable. / SOPHIE DOUCE / LE MONDE

Sport national

Née il y a cent ans dans le sud-est de la France, la pétanque passionne de plus en plus au Burkina Faso et sur le reste du continent. « Elle est très populaire en Tunisie, au Maroc ou encore au Bénin. Une trentaine de pays ont déjà leur propre fédération », observe Idrissou Ibrahima, le président de la Confédération africaine de sport-boules (Casb) qui siège à Cotonou. « Ce jeu est arrivé ici avec la colonisation. A l’origine, il était plutôt destiné aux élites, mais il a pris de l’ampleur à partir des années 1980, et aujourd’hui tout le monde s’y adonne » résume fièrement Arsène Macaire Kaboré, à la tête de la Fédération burkinabée de pétanque.

Comptage des points des équipes après un tournoi régional de pétanque, dans le quartier de Song-Naba, à Ouagadougou, le 14 juillet. / SOPHIE DOUCE / LE MONDE

C’est tellement vrai que la variante du jeu provençal talonne désormais les deux premiers sports nationaux que sont le football et le cyclisme et les Etalons boulistes, l’équipe nationale du Burkina, a même remporté pour la deuxième année consécutive la coupe Cédéao en juin. Alors, dans les « six-mètres » de Ouagadougou, comme on appelle les petites ruelles en terre rouge, on croise amateurs et professionnels. « Ce sport est encore mal reconnu et reste considéré comme un loisir, regrette le président de la fédération nationale, qui comptabilise 73 clubs et 2 000 licenciés. Mais on se débrouille, avec notre sol aride, on peut jouer presque partout dans le pays pourvu que ça roule ! » Ou que ça « plombe », comme on dit ici lorsque la boule tombe directement près du cochonnet.