Nicolas Pépé, ancien Dogues, nouveau Gunner d’Arsenal. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Chaque été, les clubs de football jettent leur argent par la fenêtre des transferts. Pour les médias spécialisés, le mercato est devenu plus qu’une actualité de substitution durant la trêve : un pan entier de leurs contenus. Pour les supporteurs, il est aussi le moment de fantasmer leur équipe, d’en imaginer la future composition, d’en évaluer le potentiel.

Entre ces deux aspirations s’ouvre un espace ambivalent. Les rumeurs et les spéculations y sont des informations, et cette comédie a son propre lexique. Un club « n’est pas indifférent » à un joueur, « s’est renseigné » sur lui, l’a « sur ses tablettes ». On prête à ce dernier des « velléités de départ », voire la volonté d’aller au « bras de fer » pour arracher son « bon de sortie ».

La moindre supputation peut avoir un destin inattendu. En 2006, les membres d’un forum de supporteurs avaient inventé l’Italien Borisio Ferrara, dont la possible arrivée à Saint-Etienne avait été reprise jusque dans France Football. Il suffit d’un rien : ce week-end, la traduction erronée d’un article en italien de La Gazzetta dello Sport a conduit le site du quotidien espagnol Marca à affirmer l’intérêt (irréaliste) de l’OM pour James Rodriguez.

Poker menteur

Une supposition sur dix sera validée, mais le transfert confirmé aura suscité maintes péripéties jusqu’à la visite médicale et la signature officielle, et les neuf autres auront alimenté les fictions de l’été. Les grandes rédactions comptent des journalistes spécialisés qui exercent « un métier dans le métier », disait leur consœur de L’Equipe Lawrence Leenhardt. Ils traquent les informations fiables, à la lutte pour des exclusivités qui ne dureront pas plus d’une minute.

Les sources étant souvent parties prenantes (entourage ou agents des joueurs, intermédiaires, directeurs sportifs), leurs confidences peuvent chercher à faire monter les enchères, susciter l’intérêt des clubs, peser sur une négociation. Une partie de poker menteur à laquelle participent, dans une position ambiguë, les médias sportifs.

La confusion est renforcée par les réseaux sociaux, qui pullulent de sources alternatives dont la fiabilité varie aux extrêmes. Les médias sociaux deviennent même un terrain d’enquête. On y guette un joueur qui s’abonne au compte Twitter d’un club, un post de sa compagne sur Instagram. Le vol d’un jet privé peut être suivi en ligne et des photos décortiquées façon Les Experts.

Compétition jouée d’avance

Tout le monde peut jouer. Le mois dernier, le site Culture PSG a lancé sur Twitter une enquête mi-parodique, mi-sérieuse sur un joueur non identifié aperçu au siège du club. Au bout du processus, les signatures deviennent des événements, presque des victoires. C’est le moment où tous les espoirs sont permis, où une recrue peut faire rêver de futurs succès.

Dans les attentes des supporteurs, dans leur exigence de nouveaux joueurs, dans leur manière de jauger la performance estivale de leur club, il y a une part d’aliénation. Car derrière les histoires que racontent les transferts, derrière les spéculations, il y a un grand marché spéculatif inégalitaire ; derrière ce spectacle dans le spectacle, une compétition dans la compétition – jouée d’avance.

L’écrasante majorité des clubs ne peuvent en effet tirer leur épingle de ce jeu qu’en se transformant en éleveurs de joueurs au service des clubs de l’élite européenne. Si l’argent de ces derniers ruisselle (beaucoup sur les intermédiaires, via des circuits opaques), leur suprématie économique leur assure le monopole sur les meilleurs footballeurs.

Destin de sous-traitants

Le spectacle du mercato, c’est celui du « trading de joueurs » auquel sont contraints de se livrer une majorité de clubs pour s’en sortir. Spécialisés dans ce négoce (comme Monaco ou Lille, qui a vendu Nicolas Pépé près de 80 millions d’euros à Arsenal) ou dans la formation, ils sont exposés au risque de reconstructions brutales et voient se raccourcir les cycles de leurs projets sportifs. Un destin de sous-traitants.

Tous sont contraints à penser leurs joueurs comme des actifs financiers, de plus en plus tôt. Même si William Saliba, 18 ans et pas plus de matchs en Ligue 1, va accomplir sous la forme d’un prêt une saison de plus à l’AS Saint-Etienne, cette dernière ne pouvait refuser un transfert à Arsenal pour 30 millions d’euros. Les Verts auront à peine profité sportivement du joueur.

La généralisation des « bonus » (versements différés ou conditionnés) et des intéressements sur les futurs transferts parachèvent ce basculement spéculatif, tandis que l’équité des compétitions se dégrade et que les pouvoirs sportifs n’opposent que de vagues velléités de régulation. Pendant le show des transferts, le business du football continue.