Pour Marc Julienne, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et doctorant à l’INALCO, et spécialiste des politiques de sécurité et de défense en Chine, Pékin doit effectuer un « calcul coût/bénéfice » dans sa façon de répondre au mouvement de contestation qui secoue Hong Kong depuis deux mois. Si ce mouvement constitue une « défiance intolérable » pour le chef du Parti, Xi Jinping, aucune solution ne permettra à Pékin de sortir gagnant, estime-t-il.

Pékin a adressé, mardi 6 août, son plus ferme avertissement à ce jour aux manifestants hongkongais qui défient depuis deux mois le régime communiste, les mettant en garde contre « la puissance immense » du gouvernement central. Comment analyser ces menaces ?

Les déclarations des porte-paroles du Bureau des affaires de Hongkong et Macao (HKMAO) s’inscrivent dans la continuité des propos tenus lors de la première conférence de presse du 29 juillet. Mais les mises en garde lancées contre les manifestants hongkongais ont monté d’un cran. Le HKMAO avait déjà fixé trois lignes rouges, relativement floues, qui pousseraient Pékin à prendre des mesures fermes : la mise en péril de la sécurité nationale, la défiance de l’autorité de Pékin et de la loi constitutionnelle de Hongkong, et l’utilisation de Hongkong par des forces étrangères pour nuire à la Chine.

Deux de ces lignes rouges semblent aujourd’hui franchies pour Pékin. Le gouvernement central estime que les « émeutiers » s’attaquent à la Chine populaire et au principe d’« un pays, deux systèmes » en prenant pour cible les symboles de la République populaire, notamment son drapeau qui a été décroché et jeté à la mer. Les officiels chinois ont aussi réitéré leurs accusations d’ingérences étrangères dans l’organisation des manifestations. Le discours s’est aussi fortement durci, appelant instamment les manifestants à « ne pas sous-estimer la ferme détermination et l’immense puissance du gouvernement central et de la population chinoise pour maintenir la prospérité et la stabilité à Hongkong et pour préserver les intérêts fondamentaux de la Chine. »

Une intervention de l’armée chinoise à Hongkong est-elle toujours possible ?

Une intervention par la force est de plus en plus probable. Le ministère chinois de la Défense avait déjà suggéré en juillet que l’Armée populaire de libération (APL) pouvait intervenir à Hongkong, conformément aux dispositions du droit hongkongais. Il faudrait pour cela que le gouvernement de Hongkong demande le renfort de Pékin pour assurer le maintien de l’ordre. Le cas échéant, la garnison de l’APL de Hongkong, dotée de 5 000 hommes, interviendrait sous les ordres de Pékin.

Ces deux dernières semaines des signaux clairs ont été envoyés à la population hongkongaise pour convaincre de la détermination de Pékin. Le commandant de la garnison de Hongkong s’est dit prêt le 31 juillet à « protéger la souveraineté nationale, la sécurité et la prospérité » de la cité. Trois exercices anti-émeutes de grande envergure ont également eu lieu dans la province du Guangdong, voisine de Hongkong. Enfin, des vidéos de propagande ont été largement diffusées, montrant des simulations de manifestations violentes dont les protagonistes, en T-shirt noir et casque de chantier, ressemblent en tout point aux manifestants hongkongais.

Lors de la conférence de presse du 6 août, le porte-parole du HKMAO, Yang Guang, a insisté sur trois points. Premièrement, l’APL, du haut de ses 92 ans d’existence, est la force la plus puissante pour sauvegarder la souveraineté nationale. Deuxièmement, l’APL exécute les ordres du gouvernement central et agit dans le strict cadre de la loi. Enfin, comme pour brouiller les pistes, Yang Guang a précisé que la police de Hongkong a toute la capacité et toute la confiance du gouvernement central pour « mettre un terme aux émeutes et restaurer l’ordre ». Ce discours a pour objectif d’afficher le soutien sans faille de Pékin aux autorités hongkongaises afin de légitimer une éventuelle intervention chinoise, qui s’effectuerait conformément à la législation hongkongaise. Il vise aussi à dissuader les manifestants en les menaçant d’un « retour de flammes » inéluctable.

D’autres scénarios d’intervention sont-ils envisageables, notamment par le biais des forces antiémeutes chinoises qui se sont livrées mardi à un exercice à Shenzhen, largement médiatisé par la Chine, dans lequel les policiers s’entraînaient contre des hommes vêtus de noir et portant des casques jaunes ?

Pékin dispose de diverses possibilités d’action. La plus simple serait de mobiliser les troupes de la garnison de l’APL de Hongkong en raison de la législation qui l’autorise. Toutefois, l’armée n’étant pas formée aux missions de maintien de l’ordre, faire intervenir l’APL risquerait de remuer les mauvais souvenirs de Tiananmen.

Une autre option serait de faire intervenir les troupes paramilitaires de la Police armée du peuple (PAP), plus adaptées au maintien de l’ordre. Cependant, celles-ci, comme l’APL, sont placées sous l’autorité de la Commission militaire centrale, le plus haut organe militaire chinois, et leurs missions sont aussi principalement des missions de combat.

Enfin, Pékin pourrait envoyer en nombre les forces anti-émeutes de la sécurité publique (la Police du peuple), qui ne sont pas dotées d’armement létal, pour renforcer les effectifs hongkongais. La Chine réduirait ainsi, peut-être, les critiques de la communauté internationale, par rapport à une opération militaire. Toutefois, l’intervention de forces de police « continentales » à Hongkong n’est pas prévue par la loi constitutionnelle de Hongkong. La Chine devra alors faire valoir que « le gouvernement central est responsable de la défense de la Région administrative spéciale de Hongkong », comme le prévoit l’article 14, pour justifier cette intervention. La Chine a tenu mardi 6 août un exercice réunissant 12 000 de ces policiers à Shenzhen, de l’autre côté de la frontière avec Hong Kong.

Quelque soit le scénario, il est aussi hautement probable que le Comité central du Parti communiste déclare l’état d’urgence à Hongkong, ou que le gouvernement hongkongais impose une interdiction de manifestation, voire un couvre-feu, en amont d’une telle opération. Ainsi, une intervention de police, avec le soutien éventuel de forces armées de garnison de Hongkong, constitue aujourd’hui un scénario plausible.

Quels risques prendrait Pékin en intervenant directement dans le maintien de l’ordre à Hongkong ?

Une intervention par la force serait en effet très risquée. Il y a d’abord un coût politique important. La Chine subirait une vague de critiques, voire de sanctions, de la part des démocraties occidentales. Son image en serait sérieusement égratignée, a fortiori dans un contexte international déjà tendu. Elle se trouve notamment au milieu d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis et est accusée de violation des droits de l’homme contre la minorité ouïgoure du Xinjiang. En outre, nul ne peut anticiper les conséquences d’une telle opération. Un conflit entre la jeunesse hongkongaise et les forces de l’ordre de Chine continentale pourrait lui-même s’enliser. Cela nous amène au coût économique d’une intervention. Il existe un risque élevé de perturbation économique durable à Hongkong qui s’avérerait également néfaste pour la Chine continentale.

C’est un calcul coût/bénéfice que Pékin doit effectuer dans cette crise. Aucune solution ne permettra à Pékin de sortir gagnant, il choisira donc l’option la moins mauvaise pour sauvegarder ses intérêts prioritaires. Depuis les évènements de la place Tiananmen en juin 1989, Pékin voit dans toute forme de contestation une menace pour la stabilité du Parti communiste. La République populaire est un régime léniniste qui ne souffre aucune remise en question de l’autorité et de l’idéologie du Parti. C’est pourquoi le mouvement hongkongais, qui lutte contre l’influence de Pékin et pour le développement de la démocratie, constitue une défiance intolérable pour le chef du Parti, Xi Jinping.

De plus, Pékin navigue dans un contexte politique sensible. Le 1er octobre sera célébré le 70e anniversaire de la République populaire de Chine, un marqueur historique dans le « renouveau de la puissance chinoise » de Xi Jinping. Et en janvier 2020 se tiendront les élections présidentielles à Taiwan. C’est donc un contexte ambigu pour la République populaire, entre démonstration de la puissance recouvrée d’un côté, et opposition radicale au régime de l’autre, à Hongkong et Taiwan.