Un écran montre la baisse des marchés financiers dans une entreprise de Pékin, en Chine, le 5 août. / GREG BAKER / AFP

Les tensions commerciales entre Pékin et Washington vont-elles dégénérer en guerre des monnaies ? Peut-être bien. Lundi 5 août, la Chine a laissé sa devise plonger sous le seuil symbolique des 7 yuans pour 1 dollar – du jamais vu depuis neuf ans –, ce qui a presque aussitôt déclenché l’ire de Donald Trump.

« La Chine a fait tomber le cours de sa devise à un plus bas pratiquement historique, s’est emporté sur Twitter le président américain. Ça s’appelle de la manipulation de monnaie. Entendez-vous bien, la Réserve fédérale [Fed, banque centrale] ? C’est une violation majeure qui affaiblira grandement la Chine dans le temps. »

Contrairement à l’euro ou au dollar, dont la valeur fluctue librement selon l’offre et la demande, le cours du yuan est piloté par la Banque centrale de Chine (PBoC) : il évolue face au billet vert dans une fourchette de 2 % autour d’un cours pivot fixé chaque jour par l’institution. Sans détailler précisément ses motivations, celle-ci a indiqué dans un communiqué que « la situation économique internationale et les tensions commerciales » avaient affecté le cours de plusieurs monnaies, dont le renminbi (yuan), tout en assurant ne pas s’être « engagée dans une dévaluation compétitive ».

« La décision de laisser sa devise passer sous la barre des 7 yuans pour 1 dollar est une réponse à la menace de Donald Trump d’imposer de nouveaux droits de douanes sur les importations chinoises », analyse Louis Kuijs, spécialiste de la Chine chez Oxford Economics. Le 2 août, le président américain a déclaré vouloir imposer, dès le 1er septembre, une surtaxe de 10 % sur les 300 milliards de dollars (268 milliards d’euros) de produits chinois jusqu’ici épargnés.

Les investisseurs pris de court

En théorie, un yuan plus faible est susceptible de soutenir la compétitivité des exportations chinoises et de compenser un peu les pertes liées à de nouvelles taxes. Jusqu’ici, la PBoC s’était néanmoins efforcée de ne pas laisser filer sa monnaie, notamment pour éviter des sorties massives de capitaux du pays.

A-t-elle changé de cap ? Va-t-elle aller plus loin ? Difficile à dire. Mais un tel scénario pourrait faire grimper d’un cran encore les tensions commerciales, alors que les Etats-Unis de Donald Trump semblent de plus en plus tentés d’agir sur le marché des devises, par l’intermédiaire de la Fed ou du Trésor. Cela, afin de doper les ventes des industriels américains à l’étranger.

Une telle perspective a déjà des effets dévastateurs sur les marchés financiers. L’annonce par le président américain, le 2 août, de nouveaux droits de douane sur des produits chinois a aussitôt fait plonger les Bourses. La chute a repris lundi 5 août, après la réponse de Pékin et la baisse du yuan. A la clôture, le CAC 40 perdait 2,19 %, tandis que la Bourse de Londres cédait 2,47 %. Outre-Atlantique, le Dow Jones abandonnait 2,90 % en fin de séance, quand le Nasdaq, l’indice riche en valeurs technologiques, se repliait de 3,47 %.

« Le tweet de Donald Trump annonçant l’augmentation des taxes douanières sur 300 milliards de dollars d’exportations chinoises a pris de court les investisseurs qui misaient, depuis la reprise des pourparlers entre les deux superpuissances, sur une négociation longue et difficile. Pas sur une escalade aussi soudaine », estime Stéphane Déo, stratégiste à La Banque postale Asset Management.

« Trump veut cogner le commerce global »

D’autant que la dépréciation de la devise chinoise pourrait entraîner celle des monnaies des pays émergents du Sud-Est asiatique liées au yuan. « De quoi faire peur aux investisseurs, qui pourraient être tentés de sortir et générer ainsi un fort ralentissement économique sur l’ensemble de la zone », ajoute Stéphane Déo.

Cette poussée de tensions intervient alors que l’économie mondiale ralentit et n’a plus la même capacité à absorber des chocs importants. C’est la raison qui a poussé, le 31 juillet, la Fed à baisser d’un quart de point (0,25 %) ses taux directeurs. « Trump veut cogner le commerce global, et ça peut faire mal à l’économie américaine, analyse le président d’une grande banque française. La Fed anticipe et envoie le message : on en a sous le pied !” »