Evanesceri vos salutant. « Ceux qui vont disparaître vous saluent », et si on se donne la peine de vous l’écrire en latin, c’est 1) pour le plaisir de se faire corriger par les agrégés de lettres classiques dans les commentaires 2) parce que ces jeux vidéo appartiendront bientôt au passé.

A l’image de Duck Tales : Remastered, remake d’un classique des années 1980, qui disparaîtra des boutiques en ligne vendredi 9 août, a annoncé son éditeur, le japonais Capcom. Pour pouvoir à nouveau y jouer, il faut donc le télécharger avant la fin du week-end, sans quoi il rejoindra la longue liste des jeux vidéo perdus à jamais.

1 contre 100 Live, Alan Wake, Amazing Spider-Man, Avatar : Legends of the Arena, Castle of Illusion starring Mickey Mouse, Darkspore, Dark Souls : Prepare to Die, Deadpool, Lego : Lord of the Rings, The Legend of Korra, The Wolf Among Us… Ces dernières années, subrepticement, des dizaines et même des centaines de jeux ont été retirés du jour au lendemain d’une ou plusieurs boutiques en ligne – et souvent sans que l’éditeur prenne le soin d’en faire l’annonce.

Certains ont rapidement refait surface ; d’autres, jamais, les rendant parfois impossibles à télécharger, même si vous les aviez achetés. Il s’agit, comme l’écrivait de manière provocatrice le magazine Wired en 2015, d’un « rappel qu’en dématérialisé, vous ne faites que louer les jeux ».

Des accords de licence limités dans le temps

La plupart des jeux touchés sont le plus souvent des adaptations de licence. Si une bonne part des éditeurs se gardent bien de communiquer dessus, la raison de leur retrait est souvent liée à des contraintes contractuelles : qu’il s’appelle Warner Bros., Disney ou encore Marvel, l’ayant droit n’accorde le droit d’exploiter ses univers que pour une durée limitée – généralement entre quatre et dix ans. Et si les versions en boîte perdurent, les versions dématérialisées, elles, vivent avec une perpétuelle épée de Damoclès au-dessus de leurs gigaoctets.

Secret des affaires oblige, rares sont les majors du jeu vidéo à communiquer lorsque de tels contrats expirent. Ainsi, de nombreux joueurs sont tombés des nues quand Teenage Mutant Ninja Turtles : Mutants in Manhattan a été retiré des différentes boutiques en ligne – Steam, PlayStation Store, Xbox Store – au début de 2017, à peine sept mois après son lancement. Il fallait alors revenir au 7 février 2013 pour retrouver l’annonce publique d’un « accord mondial pluriannuel » signé entre Nickelodeon et Activision, portant sur la licence Tortues Ninja en général, et qui, manifestement, ne courait que sur quatre ans. Mutants in Manhattan a été le troisième et dernier jeu tiré de cet accord.

Donatello l’ignore : son pire ennemi, ce ne sont pas les sbires de Shredder, mais la date d’expiration du contrat entre Activision et Nickelodeon. / Activision

Parfois, c’est un problème de licence portant sur un détail du jeu – le plus souvent musical – qui peut amener à le retirer tout entier des boutiques en ligne. C’est ce qui est arrivé à Grand Theft Auto IV en avril 2008, dix ans après sa sortie. « En raison de contraintes de droit d’utilisation des musiques, nous devons retirer certaines chansons de la bande-son de GTA IV et de ses chapitres supplémentaires, en particulier une grande partie de la station radio de pop russe, Vladivostok FM », s’était alors justifié un porte-parole de Rockstar, l’éditeur du jeu, auprès du site Kotaku. Le jeu a depuis été remis en ligne, mais avec une bande-son sensiblement modifiée. Grid, Dirt 3, Tony Hawk Hawk Pro Skater HD ou encore Alan Wake ont connu pareilles mésaventures.

Des raisons parfois politiques

Plus rarement, il arrive que ce soit l’éditeur qui choisisse lui-même de supprimer, ou au moins de rendre moins visible un jeu. Il s’agit alors d’un choix conscient, consistant à valoriser une réédition plus récente, jugée plus réussie, ou tout simplement vendue plus cher. Le site PC Gamer cite notamment les exemples de Dark Souls : Prepare to Die et de l’édition originale de Skyrim, tous deux éclipsés dans les moteurs de recherche par des moutures mises à jour.

Sur Steam, il n’est plus possible d’acheter la version originale de « Skyrim », mais uniquement sa version remasterisée. / Bethesda

Souvent pour des raisons commerciales, les serveurs de jeu en ligne en fin de vie sont eux aussi débranchés. Si personne ne pleure Darkspore, éphémère tentative d’Electronic Arts, ce sont des centaines d’heures de jeu qui ont été rendues vaines par la fermeture de Warhammer Online en 2013, et de franches parties de rigolades qui se sont perdues lors de l’abandon du quiz en ligne 1 vs 100 sur Xbox 360. Et un monument du jeu vidéo qui s’est arrêté en même temps que les serveurs de Dark Age of Camelot en 2019.

Plus incongru, le créateur de Flappy Bird l’a de lui-même retiré de l’AppStore, dépassé par son propre succès – créant ainsi un improbable marché noir de personnes revendant leur iPad avec le jeu installé dessus.

600 euros l’iPad avec « Flappy Bird » installé dessus, pas cher, pas cher. / Capture d’écran

Enfin, de manière plus marginale, certains jeux sont retirés pour des raisons politiques ou morales. Le studio taïwanais Red Candle Games a ainsi dû « délister » le jeu d’horreur Devotion, car une discrète référence à Winnie l’ourson, surnom moqueur attribué au président chinois Xi Jinping, lui a valu un tombereau de notes négatives de la part d’utilisateurs chinois.

Quand des pans entiers disparaissent

Plus gênant, il arrive que des pans entiers du continent vidéoludique coulent d’un coup, nourrissant l’Atlantide d’une quantité astronomique d’œuvres perdues. C’est généralement ce qui arrive lorsqu’une entreprise met la clé sous la porte.

Suite à la fermeture de Telltale, son catalogue a disparu de la boutique en ligne GOG. / Telltale

En mai 2019, la cessation d’activité de Telltale, le prestigieux studio américain à l’origine de The Walking Dead, The Wolf Among Us, des adaptations de Game of Thrones, Batman ou encore Minecraft en jeux narratifs interactifs, a provoqué leur disparition de certaines plates-formes, comme GOG. Dans ces cas-là, il faut qu’un autre acteur rachète les droits des titres en question pour que ceux-ci puissent être à nouveau commercialisés – ce qu’a fait 2K Games avec Tales of the Borderlands, adapté d’une de ses licences, en prévision de la sortie de Borderlands 3.

Ce sont parfois des blocs d’histoire du jeu vidéo entier qui se décrochent, quand un constructeur débranche son service de vente en ligne – comme Razer avec la Ouya, ou Nintendo avec le WiiWare ces deux dernières années. Ce qui est traditionnellement mis en avant comme un argument marketing pour les « consoliers », les exclusivités, devient alors des drames pour historiens : faute d’avoir été adaptés sur d’autres supports, des épisodes inédits de Tetris, Contra, Castlevania sont désormais inaccessibles, tout comme, et c’est sans doute plus grave, Bonsai Barber, étonnant jeu consistant à coiffer des arbres, signé d’un des pères de GoldenEye (avouez que vous êtes tristes, un peu). Heureusement, ce dernier a été sauvé de l’oubli grâce aux émulateurs, une solution à la légalité douteuse, mais incontournable dans ce genre de situation.

Bonsai Barber - WiiWare Wii Gameplay 1080p (Dolphin GC/Wii Emulator)
Durée : 14:14

Les effets dévastateurs des mises à jour de smartphones

C’est, aussi, tout le jeu vidéo bis, sorte d’équivalent au cinéma de série Z, qui menace de mourir chaque fois qu’une plate-forme en ligne bat de l’aile, ou juste fait le ménage dans son catalogue. Le délicieux site collaboratif lostmediawiki.com recense ainsi la quatre-vingtaine de productions disparues avec 3D Groove Games, portail de petits jeux 3D à licence, en service de 1998 à 2009.

Plus criminel encore, les mises à jour des systèmes d’exploitation de l’iPad, de l’iPhone et des smartphones Android rendent instantanément obsolètes des centaines de milliers de productions – dont les premiers jeux de ces plates-formes, ou des curiosités historiques comme Life Line in Texas, premier jeu afghan, dont il ne reste qu’une vidéo YouTube.

Line Man in Texas For iPhone, iPod touch, and iPad (The First Game of Afghanistan)
Durée : 03:06

« Les jeux vidéo vont tous mourir, dans quelques générations, d’énormes problèmes d’accessibilité se poseront », prévenait en 2018 l’historien de l’art Carl Therrien. Cet été, comme pour rappeler que plusieurs de ces productions perdues peuvent ressusciter malgré tout, Bethesda a réédité les trois premiers Doom. Certes dans une résolution moderne, avec des conditions de luminosité bien différentes de l’époque, et surtout une connexion obligatoire aux serveurs de l’éditeur – option que l’entreprise américaine a rapidement fait retirer, à la suite des railleries. Voyons le bon côté des choses : au moins, Doom résiste à l’Atlantide.