Une femme ramasse des noix de karité à Dakpemyili, dans le nord du Ghana, en juin 2019. / Dylan Gamba

La route en asphalte et les maisons en béton laissent place à un chemin de terre bordé de huttes. Le village de Dakpemyili se trouve à une demi-heure de voiture de Tamale, la grande ville du nord du Ghana. Un bourg de 230 habitants comme il en existe beaucoup dans cette région essentiellement rurale, plus pauvre que le reste du pays. La savane se dessine à perte de vue. Le climat sahélien y est sec en cette période de fin du ramadan.

Dès 6 heures, les femmes sont à l’ouvrage dans les champs. Munies de bassines, elles ramassent les petites noix vertes qui, depuis plusieurs années, ont permis d’améliorer le quotidien : le karité. Rebecca Richard, coiffée d’un foulard bigarré et chaussée de bottes pour se prémunir contre les morsures de serpents, se courbe pour attraper les noix et les ranger dans son seau. « Pendant la période de récolte, de juin à septembre, nous sommes dans les champs tous les matins », témoigne la femme de 35 ans.

Avec son mari, elle possède une parcelle d’environ deux hectares où se trouvent une dizaine d’arbres. Chacun a une durée de vie de 300 ans et peut produire jusqu’à 20 kg de noix par saison. Contrairement à l’année dernière qui a été « catastrophique car nous n’avons pas ramassé une seule noix », se souvient Rebecca, cette saison s’annonce prometteuse. « Il y a deux ans, j’ai vendu environ 255 kg pour environ 420 cedis [environ 68 euros] », poursuit-elle.

« C’est une somme non négligeable dans une région où il n’y a pratiquement aucune autre activité économique », avance Alhassan Mahama, membre de l’ONG Presbyterian Agriculture Services. L’association, présente depuis 2003 dans deux régions du nord du pays, assiste environ 15 000 femmes réparties dans 100 villages. « Nous les aidons notamment en leur fournissant des entrepôts pour qu’elles puissent stocker les noix et qu’elles attendent le meilleur moment pour vendre, quand les cours sont à la hausse », poursuit-il.

Un substitut à l’huile de palme

Rebecca habite une hutte à l’entrée du village. Dans un entrepôt situé à côté de sa modeste bâtisse en terre cuite, elle conserve les noix de karité qu’elle compte écouler au fur et à mesure de l’année.

Comme elle, quelque 90 femmes du village se sont réparties sur leurs parcelles pour recueillir les noix qui tombent naturellement à terre une fois arrivées à maturité. Si elles cultivent également du soja, de l’arachide et du manioc, elles tirent la majorité de leurs revenus du karité. « C’est un fruit qui nous a été donné par Dieu », témoigne l’une d’elles, Mariama Nabila. Régulièrement, elles débroussaillent les champs pour éviter qu’un brasier n’atteigne les arbres en cas de départ de feu.

Il y a encore quelques années, le karité était utilisé presque exclusivement par les populations rurales en complément alimentaire, notamment comme huile de friture. Depuis, l’engouement des pays occidentaux s’est développé pour le karité, afin de fabriquer des produits cosmétiques et pharmaceutiques et de remplacer la très décriée huile de palme. Les prix de cette denrée se sont rapidement envolés et le marché est aujourd’hui tiré par la demande en provenance de l’Europe, suivie des Etats-Unis.

Chaque année, l’Afrique produit environ 800 000 tonnes de beurre de karité. Le Nigeria est le principal pays producteur, avec près de 400 000 tonnes, devant le Mali (85 000 tonnes), le Burkina Faso (70 000) et le Ghana (55 000). Lors des périodes de récolte, cette industrie offre des compléments de ressources à quelque 16 millions de femmes, dont près de 3 millions au Ghana.

Un beurre artisanal et bio

Pour permettre aux communautés rurales de tirer profit de l’exploitation de ce fruit, de nombreuses coopératives se sont créées à travers le pays. Certaines ramassent et vendent les noix, d’autres vont jusqu’à produire elles-mêmes le beurre de karité.

C’est le cas à Kanvilli, un village en banlieue de Tamale. Une dizaine de femmes y travaillent pour produire un beurre labellisé bio. En ce début de mois de juin, l’activité a à peine démarré. Dans une légère odeur sucrée, trois femmes s’affairent à retirer la pulpe des noix pour récupérer l’amande. Cette dernière est lavée, séchée puis concassée et moulue, afin d’obtenir une pâte épaisse mélangée à de l’eau.

Le produit obtenu est ensuite plongé dans l’eau bouillante pour séparer le beurre des imperfections. La chaleur qui se dégage des marmites est étouffante. « C’est un travail très dur, nous commençons à 6 heures et finissons à 18 heures », confie Abita Alhassan. Mais cette quinquagénaire y trouve son compte. « Avant, je vendais des gâteaux sur le marché, aujourd’hui je suis mieux payée », estime-t-elle.

« Nous encourageons la constitution de ces coopératives », souligne Félix Basing, chargé de la production auprès de la Savannah Fruits Company, une société qui vend du beurre de karité artisanal. « Nous voulons que les femmes aient davantage de pouvoir dans ces communautés et éviter que de jeunes femmes migrent vers le sud pour chercher des emplois qui n’existent pas », poursuit-il, alors que la plupart des Ghanéens qui vivent dans les bidonvilles d’Accra, la capitale, sont originaires du nord du pays. Au Ghana, le karité n’a pas que des vertus cosmétiques.