Manifestation de livreur de repas, le 7 août à Paris. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Editorial du « Monde ». Ils sont en colère. Mercredi 7 août, une centaine de livreurs de repas de Deliveroo ont manifesté à Paris, prélude à une action nationale samedi 10 août. Comme en août 2017 et en octobre 2018, ils dénoncent la nouvelle grille tarifaire mise en place par la plate-forme britannique. Elle prévoit la suppression du tarif minimal, accompagnée d’une baisse sur les courses les plus courtes et d’une augmentation pour les plus longues. Une décision unilatérale qui entraînerait, selon le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP 75), une chute de 30 % à 50 % des rémunérations.

Cette révolte est symbolique d’un nouveau monde où on tente de réhabiliter l’absence de règles de l’ancien, avec une relation de gré à gré entre le donneur d’ordre et l’exécutant. Dans ce tâcheronnage à la sauce Internet, ces livreurs, qui ne sont pas tous des étudiants cherchant un boulot d’appoint mais aspirent souvent à trouver un emploi, la flexibilité fait bon ménage avec la précarité. Comme l’a souligné l’U2P, le patronat de l’artisanat, ces plates-formes qui utilisent les services de ces micro-entrepreneurs offrent l’image d’un « véritable Far West en ayant recours à des indépendants qui sont dépendants à tous points de vue, en lieu et place de salariés ».

Les livreurs n’ont ni la liberté des employeurs ni la sécurité des employés sous contrat. Ils sont livrés à eux-mêmes, avec une protection sociale très faible. Sur le papier, la rémunération brute peut être supérieure au smic horaire mais, une fois qu’ont été retranchés la cotisation au régime social des indépendants et le coût des outils de travail – le smartphone avec un forfait Internet, le vélo ou le scooter et son entretien –, la somme qui va être touchée par celui qui remplit des tâches pour Deliveroo est amputée de 40 %.

Une population atomisée

Ces tâcherons n’ont droit ni au chômage, ni aux congés payés, ni à une véritable couverture santé. Avec la loi LOM (loi d’orientation sur les mobilités), en voie d’adoption, les plates-formes devront acquitter des cotisations accidents du travail et formation professionnelle.

Face à cette situation, la fronde intermittente des livreurs est de bien faible ampleur. Il peut difficilement en être autrement, alors qu’il s’agit d’une population atomisée. Les 11 000 coursiers à la tenue de travail turquoise de Deliveroo sont en concurrence les uns avec les autres. Ils se croisent mais ne se rencontrent pas. Ils n’ont pas de lieu où se retrouver et pas de représentation syndicale en bonne et due forme. Ils n’ont pas de contact humain avec leur donneur d’ordre. Tout se passe sur Internet, et c’est grâce aux réseaux sociaux qu’ils lancent des mobilisations qui ne font pas bouger d’un iota l’entreprise britannique, qui sait qu’elle pourra toujours remplacer les livreurs mécontents.

Pour autant, on ne peut pas se résigner à accepter ces zones de non-droit social, dans un pays qui se glorifie, à juste titre, d’avoir un modèle social globalement protecteur. Le gouvernement s’est bien gardé de mettre la pression sur les plates-formes en matière de rémunération et de conditions de travail. La loi LOM va leur imposer des chartes sociales pour renforcer la transparence sur le prix des prestations, mais elles seront libres d’en définir les contours. Il faut aller plus loin et organiser, comme le souhaite le député LRM du Val-d’Oise Aurélien Taché, une représentation collective des livreurs et un dialogue social. Ce serait un premier pas.