Des manifestants brandissent les drapeaux algérien et berbère, à Alger, le 21 juin 2019. / Ramzi Boudina / REUTERS

Arrêté le 5 juillet à Annaba, dans l’est de l’Algérie, pour avoir brandi un drapeau berbère lors d’une manifestation du vendredi, Nadir Fetissi, 41 ans, risquait gros : le procureur avait requis contre lui une peine de dix ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale ». Le tribunal d’Annaba a donc provoqué la surprise et le soulagement général en prononçant, jeudi 8 août, l’acquittement de Nadir Fetissi, « avec la restitution des deux drapeaux amazigh » selon son avocat, cité par le quotidien El Watan.

Pour certains, c’est un souci d’apaisement qui a prévalu, alors que la « commission du dialogue » mise en place par le pouvoir tente laborieusement d’engager son travail. Karim Younes, ancien président de l’Assemblée nationale, désormais à la tête de cette instance, avait critiqué la sévérité du réquisitoire. Il s’est empressé de saluer le verdict. Pour d’autres, le tribunal d’Annaba a surtout infligé un camouflet au pouvoir et à sa « bataille des drapeaux ». La décision signe un retour au droit : les juristes n’ont cessé de rappeler qu’il n’existe aucun texte interdisant de brandir un autre drapeau que l’emblème national.

Depuis le début du mouvement de contestation pacifique, le 22 février, les Algériens ont pris l’habitude de porter, outre le drapeau national, les emblèmes berbère, palestinien et parfois soudanais lors des rassemblements. Cette diversité n’a suscité aucune animosité parmi les manifestants. Cette « bataille des drapeaux » a été lancée par le pouvoir, le 19 juin, lors d’un discours du chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, accusant ceux qui brandissent l’étendard berbère de vouloir « infiltrer les manifestations ».

Plus de 35 personnes arrêtées

« L’Algérie n’a qu’un seul drapeau, pour lequel sont morts des millions de martyrs. Elle n’a qu’un seul emblème, qui représente sa souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale et populaire », avait assuré le nouvel homme fort du pays. Il annonçait dans la foulée que des instructions avaient été données « aux forces de sécurité pour l’application ferme et précise des lois en vigueur et pour contrer tous ceux qui tenteraient à nouveau de toucher aux sentiments des Algériens dans cette question sensible ».

Des opposants ont accusé le pouvoir de chercher à diviser le mouvement de contestation en jouant sur des clivages identitaires. La charge du chef de l’armée a créé de vives tensions lors des manifestations du vendredi, les forces de l’ordre traquant sans ménagement ceux qui brandissent les emblèmes berbères. Plus de 35 personnes, dont une femme, ont été arrêtées et placées en détention préventive. Elles sont considérées par l’opposition comme des « détenus d’opinion ». Deux personnes ont été jugées et condamnées à des peines de prison avec sursis.

L’acquittement prononcé jeudi à Annaba, une première, a été accueilli avec joie sur les réseaux sociaux, où l’on rappelle cependant que des dizaines de détenus passeront l’Aïd el-Kebir, dimanche, derrière les barreaux.